Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 11.djvu/137

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est aujourd’hui Bruges, la Venise des Flandres, qui nous appelle et nous invite. Elle nous appelle pour nous montrer combien, depuis trente ans, elle a fait d’efforts patiens et heureux pour secouer l’engourdissement d’un sommeil quatre fois séculaire, et comment elle a su retrouver la vie dans la reprise, pure et simple, de ses traditions interrompues. Elle nous invite à venir admirer en deux expositions rétrospectives, l’une d’objets d’art, orfèvreries, monnaies, tissus, miniatures à l’hôtel Gruuthuuse, l’autre de peintures anciennes au Palais du gouvernement, ce que furent ses artistes aux XIVe et XVe siècles, à l’époque de sa grandeur. L’appel et l’invitation ont été, de toutes parts, entendus et accueillis. Depuis plus d’un mois, une foule attentive, une foule polyglotte, où les touristes, non moins charmés, coudoient les artistes et les amateurs, se presse, chaque jour, dans les deux édifices. L’exposition des peintures, plus considérable et plus séduisante, la retient naturellement davantage. Organisée par M. le baron Kervyn de Lettenhove avec le concours du vénérable et actif M. James Weale, l’érudit anglais, l’historien sagace et enthousiaste des artistes brugeois, auquel Bruges doit, en grande partie, sa résurrection, cette exposition réunit plusieurs centaines de peintures des XIVe, XVe et XVIe siècles, provenant d’édifices publics ou de collections privées. Jamais pareille occasion n’a donc été offerte d’examiner de si près, de contempler si longtemps, de comparer avec tant de fruit, les chefs-d’œuvre de cette première école des Flandres, si sincère et si savoureuse, si naïve et si profonde, qui commence aux Van Eyck et s’achève en Quentin Metsys, celle qui demanda à la foi et à la vérité seules cet indéfinissable secret de la Beauté que ces heureuses Flandres devaient encore, au XVIIe siècle, retrouver, une seconde fois, sous des formes bien différentes, par Rubens et l’école d’Anvers, dans la science pittoresque et l’imagination littéraire.


I

Dès la première visite, on reste frappé d’un fait dont la certitude, décidément, s’impose aux visites suivantes. Nulle part, dans aucune école, un art national ne s’est trouvé formé si vite et si complètement, que la peinture des Pays-Bas, au début du XVe siècle, entre les mains des frères Hubert et Jean Van Eyck. Leur génie, encore mal expliqué, pose et résout du premier