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R. L. STEVENSON



VOYAGEUR ET ROMANCIER (1850-1894)



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Les habitués de la forêt de Fontainebleau durent souvent rencontrer, dans les années 1875 à 1877, un Écossais maigre, à la figure ovale, au teint fleuri, aux pommettes saillantes, aux yeux bleus, transparens, et aux cheveux châtains, qui fréquentait la colonie des peintres à Barbizon. Il pouvait avoir de vingt-cinq à trente ans ; mais sa maigreur annonçait soit des pratiques ascétiques, soit le germe d’une de ces maladies qui s’attaquent à un organe vital. Et pourtant cet homme délicat avait en société tout l’entrain, toute la gaîté de la jeunesse et, s’il prenait part à une excursion, il y déployait autant de hardiesse que de vigueur. On eût dit un cœur de « viking » dans un corps de femme. On se sentait attiré par ce contraste entre l’énergie du caractère et la fragilité des moyens physiques, tandis que la conversation, pétillante d’idées originales et pleine d’huuiour, captivait ses interlocuteurs. « Il aimait la vie, a dit un de ses amis, avec l’ardeur d’un amoureux, averti qu’on l’arrachera bientôt et pour toujours des bras de sa bien-aimée[1]. »

Tel était Robert-Louis Stevenson à vingt-cinq ans et tel il resta à peu près jusqu’à sa fin. Qui se serait douté, alors, que ce jeune homme, que la mort semblait avoir touché du bout de son

  1. Andrew Lang, Revue Bleue, 20 avril 1895.