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avenues du temple ; à travers les enceintes successives, elles se prolongent bordées d’édifices religieux, de piscines, de bazars, de divinités assises dans des niches, et surtout de kiosques de pierre, aux colonnes élancées, d’un dessin très archaïque, — toujours la colonne indienne, qui a quatre faces et dont le chapiteau est une sorte de retombée de monstres.

Le portique de chaque enceinte nouvelle est toujours surmonté, écrasé par l’invariable et l’indescriptible pyramide qui a soixante pieds de haut et qui se compose d’une quinzaine d’étages de divinités colossales, en bataillons les uns par-dessus les autres. Tout ce peuple aérien regarde d’en haut avec des milliers d’yeux, gesticule avec des milliers de membres ; il y a des personnages qui ont vingt bras éployés en éventail de chaque côté du corps, d’autres qui ont vingt visages tournés dans toutes les directions ; ils sont coiffés de tiares ; ils brandissent des glaives, des emblèmes de toute sorte, fleurs de lotus ou têtes de mort ; quantité de bêtes de rêve s’intercalent dans leurs rangs pressés, paons aux queues extravagantes, ou serpens à cinq têtes ; la pierre a d’ailleurs été sculptée, fouillée avec tant de hardiesse que chaque sujet ou chaque accessoire paraît indépendant de la masse, prêt à se détacher et à descendre. Et la mêlée compacte monte vers le ciel, en s’amincissant, pour se terminer enfin par une série de pointes, aiguës comme des fers de lance. Les couleurs presque inaltérables dont on avait peint tout ce monde, toutes ces bêtes, toutes ces nudités, toutes ces robes, toutes ces parures, ont résisté aux siècles, gardé leur éclat ; c’est le rouge de sang qui domine ; vue de loin, chaque pyramide est rouge ; mais la teinte se décompose si l’on approche ; il y a des bariolages verts, des bariolages blancs, et du noir, et de l’or.

Dans la dernière enceinte, les brahmes très purs, affectés au service des dieux, ont seuls le droit d’habiter, avec leurs familles. Quand on y arrive enfin, on a devant soi le temple proprement dit, sa vieille muraille, son vieux rempart crénelé d’aspect méfiant et morose, son entrée sombre et profonde sous l’écrasement rouge de l’obligatoire pyramide de dieux. De chaque côté de cette porte finale, des éléphans vivans sont enchaînés sur des estrades de pierre, bêtes très âgées, bêtes très sacrées, qui s’amusent en ce moment à broyer et mâcher de jeunes arbres, offrandes des fidèles. Et alentour, par contraste avec la splendeur de l’oppressante pyramide où s’entassent les myriades