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m’avertit que je dois m’éloigner, moi le seul profane ici, car il fait vraiment trop clair.

Dans le temple, mais très loin des allées de pierre que le Dieu va traverser, je me couche donc, comme les brahmes de passage, pour attendre le lever du jour. Là, c’est un calme immense ; c’est presque une fraîcheur, reposante bien qu’un peu sépulcrale. Et je m’endors, entendant un murmure de prières à peine articulées, sous la sonorité des voûtes ; parfois aussi, des pas à demi silencieux, des pieds nus qui se promènent avec discrétion sur les dalles…


IV. — LA PROCESSION PASSE

Croà ! Croà ! Un corbeau m’éveille, saluant de son cri affreux l’aube prochaine, donnant le premier signal à tous ses pareils, mangeurs de pourriture, qui dormaient par milliers dans mes alentours. La résonance de cette forêt de pierre allonge et magnifie sinistrement le concert qui se chante là, sous les profondes voûtes, car ils nichent dans le temple même, les corbeaux, étant un peu sacrés, eux aussi. Des échos qui ne finissent plus répètent partout : croà ! croà ! jusqu’aux extrêmes lointains des allées de granit, des nefs hautes ou des nefs presque souterraines, que l’on devine en dédale autour de soi, sans les voir. Tout le temple vibre de croassemens qui se répondent. Et, pour les dieux qui habitent en légion dans cette ombre sainte, une telle aubade est coutumière.

Vraiment il est nécessaire d’avoir des yeux d’oiseau pour comprendre que le jour va venir, car il fait ici plus nuit qu’hier au soir, depuis que les dernières lampes se sont éteintes et que la lune a fini de rayonner. Une humidité de tombeau donne l’illusion du froid, sur ces dalles. On ne voit rien ; à peine çà et là quelque vague traînée, moins obscure que l’obscurité enveloppante, quelque lueur informe, entrant par un soupirail, par un trou des voûtes. Et, aux cris des corbeaux, s’ajoutent de différens côtés des froissemens de plumes, des bruits d’ailes ; l’essaim noir va s’envoler…

Ah ! si, cependant, voici la lumière !… Elle vient toujours très vite, dans ces pays, de même qu’elle s’éteint… Si vite, que c’est comme un effet de théâtre : des perspectives prodigieuses de colonnes s’indiquent tout à coup dans des pâleurs diaphanes,