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à son goût (1635-1638) une partie du château, d’après les plans de François Mansard, « le plus habile architecte de son temps[1] » et l’oncle de celui qui fit Versailles. Il avait Chambord pour maison de campagne, un pays plantureux pour garde-manger, des forêts giboyeuses pour terrain de chasse, et de bonnes gens pour sujets, qui avaient gardé la foi monarchique et se tenaient pour très honorés quand le frère du roi daignait cajoler leurs femmes et leurs filles. Autant Saint-Fargeau était un lieu âpre et revêche, autant Blois, avec son ciel plein de caresses, se montrait le digne avant-courrier de « la douceur angevine. »


Coteaux rians y sont des deux côtés,
Coteaux non pas si voisins de la nue
Qu’en Limousin, mais coteaux enchantés,
Belles maisons, beaux parcs et bien plantés,
Prés verdoyans dont ce pays abonde,
Vignes et bois, tant de diversités
Qu’on croit d’abord être en un autre monde[2].


C’est un touriste du temps qui parle ainsi, c’est La Fontaine, qui visita Blois en 1663, et le décrivit à sa femme dans une lettre moitié prose et moitié vers. La ville l’avait charmé par sa jolie situation et l’air avenant de ses habitans : — « La façon de vivre y est fort polie, soit que cela ait été ainsi de tout temps, et que le climat et la beauté du pays y contribuent, soit que le séjour de Monsieur ait amené cette politesse, ou le nombre des jolies femmes. » En homme de goût, il avait admiré au château la partie de François Ier, « sans régularité et sans ordre. » En bon vivant, il avait apprécié l’excellent déjeuner de son auberge. En bon voyageur, il avait assez bavardé avec les gens de l’endroit pour savoir combien ils avaient été heureux sous le règne doux et réparateur de Gaston. Les traces des guerres civiles avaient été vite effacées dans ces pays fertiles et populeux. La Fontaine reprit gaîment sa route vers Amboise : il voyait le sourire de la France et il était fait pour en jouir.

Au temps où Monsieur en jouissait aussi, son grand plaisir était de parcourir son apanage en prince fainéant, descendant ici de carrosse pour chasser un cerf, arrêtant là son bateau pour dîner sur l’herbe, s’invitant dans les maisons, nobles ou

  1. Mémoires du marquis de Sourches. — Cf. l’Histoire du château de Blois, de La Saussaye.
  2. Lettre du 3 septembre 1663.