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les princes hindous à chasser les Anglais. Puis, revenant à une date qu’il avait déjà plus d’une fois marquée : « Si la guerre venait à se déclarer avant le 1er vendémiaire an XIII (23 septembre 1804)…, le capitaine général a carte blanche et est autorisé à se replier sur l’Ile de France. » Il termine par ces mots qui décèlent sa pensée secrète : « La mission du capitaine général est d’abord une mission d’observation ; mais le Premier Consul, bien instruit par lui et par l’exécution ponctuelle des observations qui précèdent, pourra le mettre à portée d’acquérir un jour cette gloire qui prolonge la mémoire des hommes au-delà de la durée des siècles[1]. »

Le bruit se répand qu’un corps de débarquement de 8 000 hommes se réunit en Corse, noyau d’une future armée d’Egypte. Le retour de Sébastiani confirme ces nouvelles. Sébastiani, important, bourdonnant, arrogant, volontiers enflé de sa personne et boursouflé dans ses discours, a rempli sa mission avec éclat ; il revient avec tapage. Ses propos circulent dans tout Paris. Le 30 janvier 1803, le Moniteur publie le Mémoire qu’il a adressé, sur sa mission, au Premier Consul. Il y accuse les Anglais de différer à dessein l’évacuation d’Alexandrie ; il accuse le général anglais Stuart de l’avoir voulu faire assassiner ; il peint l’armée anglaise « un ramassis d’hommes mal armés, sans discipline, usés par les excès de débauche. » — Six mille Français suffiraient aujourd’hui pour reconquérir l’Egypte. Ce pays est resté favorable à la France. La veille, Bonaparte adressait cette allocution aux délégués suisses : « L’Angleterre n’a rien à faire avec la Suisse ; si elle avait exprimé les craintes que je voulusse me faire votre landamann, je le devenais. On a dit que l’Angleterre s’intéressait à la dernière insurrection : si son cabinet avait fait à ce sujet une démarche officielle, s’il y avait eu un mot dans la Gazette de Londres, je vous réunissais ! »

Ces mots sont colportés dans toutes les ambassades, en attendant que les journaux les publient. L’effet en est déplorable et très différent de celui qu’en attendait Bonaparte. « On se réunit communément, écrit Markof, à attribuer ces incohérences à un esprit qui a de la tendance vers un égarement complet ; c’est communément l’opinion du principal ministre de tous ses plans

  1. Henri Prentout, l’Ile de France sous Decaen. Paris, 1901.