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avocats, gardes-forestiers, fermiers, simples sujets, bref de quiconque, dans les principautés de Dombes ou de la Roche-sur-Yon, dans les duchés de Montpensier ou de Châtellerault, avait un compte à régler avec elle, un ordre à lui demander ou une réclamation à lui soumettre. C’était Mademoiselle qui répondait, c’était elle qui suivait les nombreux procès nécessités par l’incurie de la gestion paternelle ; ce fut elle qui termina la grosse affaire de Champigny, dont le retentissement fut grand à cause du rang des parties et des souvenirs réveillés par les plaidoyers.

Champigny était une terre de rapport située en Touraine et ayant appartenu à Mademoiselle. Richelieu l’en avait dépouillée, alors qu’elle n’était qu’une enfant, par un échange forcé avec le château de Bois-le-Vicomte, aux environs de Meaux. Devenue maîtresse de sa fortune, elle assigna les héritiers du cardinal en restitution, et elle venait de gagner son procès quand Monsieur lui ôta Préfontaine. L’arrêt qui lui rendait Champigny lui allouait en outre des indemnités, à fixer à dire d’experts, pour des bâtimens abattus et des bois « dégradés. » Mademoiselle estimait que cela pouvait monter assez haut, et elle savait que, chez son père, où l’on s’imaginait l’avoir mise dans un cruel embarras, on répétait à tout venant qu’elle n’obtiendrait à peu près rien. Ces discours la piquaient au jeu. Le moment venu, Mademoiselle se transporta à Champigny, et y fut du matin au soir, pendant plusieurs semaines, sur les talons des dix-huit experts, procureurs, avocats, gentilshommes, maçons, charpentiers et marchands de bois, désignés pour évaluer les dommages. Elle eut de longues explications avec « le bonhomme Madelaine, » conseiller au Parlement et chargé de diriger l’expertise, qui restait confondu de tout ce que savait cette princesse. Il lui disait : — « Vous savez notre métier comme nous, et vous parlez de vos affaires comme un avocat. » Les opérations terminées, Mademoiselle eut le plaisir de pouvoir écrire à Blois « que cette affaire chimérique, dont elle ne devait avoir que 50 000 francs, se montait à 550 000. »

Elle sortit moins glorieusement de son litige avec son père. Mazarin avait rendu à Mademoiselle le mauvais service de faire évoquer son affaire par le conseil du roi. Un arrêt confirma la décision de Mme de Guise et il n’y eut plus qu’à obéir. Mademoiselle signa, en pleurant « furieusement, » l’acte qui la spoliait, et se soumit avec désespoir à partir pour Blois. Elle allait revoir