eu sa part de responsabilité dans les désastres de populations innocentes ne devait jamais effleurer son esprit, et il est à remarquer qu’elle était connue pour avoir bon cœur.
Elle apprit à Saint-Cloud qu’on l’invitait à rejoindre la Cour à Sedan. Mademoiselle prit son chemin par Reims. Elle traversa ainsi la Champagne, qui était champ de bataille depuis plus de vingt ans que durait la guerre avec l’Espagne[1] et qui offrait l’image de la désolation. Le pays était dépeuplé, nombre de villages brûlés, les villes ruinées par le pillage et les contributions de guerre. Plus curieuse des choses qui intéressent « la canaille, » Mademoiselle aurait entendu de la bouche des survivans que, de tous les ennemis qui avaient piétiné et pressuré cette malheureuse province, le plus âpre et le plus barbare avait été son allié, le prince de Condé, avec qui se trouvaient toujours ses compagnies. Elle n’en aurait pas moins écrit dans ses Mémoires, en toute inconscience, à propos de la peine qu’avait eue la Cour à lui pardonner : — « Je n’avais point d’affaire avec la Cour, et… je n’étais criminelle que parce que j’étais fille de Son Altesse royale. » Nous n’avons presque pas le droit de lui reprocher cette phrase monstrueuse. Trahir sa patrie c’était alors chose trop fréquente pour en faire beaucoup d’embarras. Quant aux hommes de ce temps qui « en vinrent jusqu’à s’occuper du menu peuple[2] » et à attacher quelque importance à ses souffrances, c’étaient des esprits révolutionnaires ou des disciples de Saint-Vincent de Paul, et Mademoiselle n’était pas pour les partis extrêmes ; ni sa naissance, ni la tournure un peu superficielle de son esprit ne l’y avaient prédestinée.
Pendant le voyage en Champagne, elle fut toute à la joie d’entendre de nouveau cliqueter les armes et sonner les trompettes. Mazarin lui avait envoyé une grosse escorte ; les coureurs de l’ennemi battaient la campagne jusqu’aux environs de Reims. Quantité de gens de la Cour, qui guettaient une occasion, se joignirent à elle pour profiter de ses gendarmes et de ses chevau-légers. Colbert se mit également sous sa protection avec des charrettes chargées d’argent qu’il menait à Sedan, et cet important convoi fut entouré du même appareil militaire « que si c’eût été la personne du roi. » Les grandes précautions s’adressaient peut-être aux charrettes d’argent ; les honneurs étaient