Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 11.djvu/455

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

porte de maisons honorablement connues dans la littérature, de celles même qu’il devait plus tard poursuivre de ses plus furieux sarcasmes. Il se fait recommander à François Buloz et insère un article au journal des Bertin. Il aurait consenti à être sage, pourvu qu’on l’y aidât. On ne vint pas à lui avec assez d’empressement. Il s’impatientait. Il résolut alors de prendre au plus court. Il entreprit d’étonner Paris.

C’était le Paris de la monarchie de Juillet, bourgeois, voltairien et constitutionnel. De toute évidence, le moyen de s’y singulariser devait consister à prendre en toutes choses le contre-pied du goût régnant. Qu’est-ce que le fils de Théophile Barbey pouvait bien trouver en lui-même qui fût de nature à faire scandale ? Il le chercha avec angoisse. Il se livra à un scrupuleux examen de conscience et inventaire de famille. C’est alors qu’il s’avise d’un certain nombre de découvertes. La première est qu’il y a du mérite à être des environs de Valognes ; c’est une distinction ; cela vous crée une originalité telle quelle, pour peu qu’on vive à Paris. A la barbe des Parisiens, l’enfant de Saint-Sauveur-le-Vicomte sera Normand. « Quand ils disent de partout que les nationalités décampent, plantons-nous hardiment, comme des Termes, sur la porte du pays d’où nous sommes, et n’en bougeons pas ! » Il y a bien des manières d’être Normand ; mais, à coup sûr, celle du duc Rollon en vaut une autre. Sans s’arrêter aux intermédiaires, Barbey dans la lignée de ses ancêtres, remonte droit aux pirates dont les barques aperçues à l’horizon faisaient pleurer Charlemagne. « J’ai des corsaires et des poissonniers dans ma race, puisque je suis Normand et de race Scandinave. » Et lui aussi, il est le « corsaire ! »

De même il n’avait eu jusque-là que peu de sympathie pour les idées professées dans sa famille et qu’il jugeait par trop rétrogrades. Mais justement par ce qu’elles avaient de suranné elles devenaient une manière de défi jeté à l’esprit moderne. Il n’était que de les arborer avec hardiesse. En y songeant, le néophyte se disait qu’il pouvait y avoir là pour lui une espèce d’obligation, une tradition de famille qu’il se devait à lui-même et aux siens de reprendre. S’il n’avait pas eu d’ancêtres aux croisades, il était bien impossible que quelqu’un de ses parens n’eût pas fait le coup de feu avec les Chouans. Ce n’était sûrement pas son père, homme d’habitudes pacifiques, mais ce pouvait être son oncle. Précisément il avait perdu, quelques années auparavant, un oncle dont il nous a laissé ce portrait d’une adorable truculence : « C’était le Normand pur, le Rob-Roy du Cotentin, bouvier, agriculteur, et conduisant parfois sa charrette avec