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trembler sur sa puissance, sur ses encharmemens (sic), sur la barre qu’elle fourre dans notre libre arbitre comme sur un écusson faussé. Ah ! n’étriquons point le catholicisme ! » Théorie commode, sur laquelle l’auteur est maintes fois revenu, et qu’ont reprise après lui tous ceux qui y trouvaient leur profit. Disons plus simplement que Barbey d’Aurevilly avait un certain tour d’imagination sensuel, et qu’il n’éprouvait aucune envie de renoncer à ce qui lui faisait plaisir.

L’esthétique du romantisme en fait de romans tient dans la recette célèbre : « Fabriquons des monstres. » Barbey d’Aurevilly en fabrique avec application. C’est un monstre, de la catégorie des goules, que cette Vellini, la Malagaise, fille d’une duchesse et d’un toréador. Elle a bu du sang de son amant et lui a fait boire de son sang ; et l’auteur ne nous cache pas que telle est sans doute la cause qui rend leur union indissoluble. Écrit-elle à son amant ? c’est bien entendu en lettres de sang. Ils ont eu un enfant : ils ont brûlé son cadavre. Mort et damnation ! — C’est un monstre que l’abbé Jehoel de la Croix-Jugan, véritable phénomène de laideur. Songez que pour ne pas survivre à une défaite des Chouans, cet hercule a tenté de se suicider, et que la décharge de son fusil lui a labouré le visage ; après quoi, les Bleus lui ont arraché les linges posés sur ses blessures, ont emporté des lambeaux de chair et promené sur cette face meurtrie des tisons enflammés. Ce n’est plus un visage qu’a Jehoel de la Croix-Jugan, c’est on ne sait quoi de tuméfié, de raviné, de mutilé qui n’a plus de nom dans aucune langue. Tel qu’il est, le héros de l’Ensorcelée inspire l’amour. C’est pourquoi un mari jaloux l’abat d’un coup de feu au pied de l’autel. Depuis lors, c’est un fait qu’à la date anniversaire de ce tragique événement, l’église de Blanchelande s’éclaire d’une façon surnaturelle, et qu’au dernier coup de minuit, Jehoel de la Croix-Jugan revient achever de dire sa messe, si malencontreusement interrompue. Car Barbey d’Aurevilly raffole du fantastique de la sorcellerie, des apparitions et des revenans. — Voulez-vous enfin un type accompli de paria ? c’est le Prêtre marié. L’abbé Sombre val, prêtre défroqué, marié et veuf, revient vivre précisément dans son pays natal, parmi ceux dont il est le plus sûr d’être exécré. Il a une fille, Calixte, sujette à des crises de catalepsie. Le somnambulisme de la fille est le châtiment de l’apostasie du père. C’est ainsi que le romancier a cru traduire l’idée chrétienne de l’expiation. Il était tout particulièrement fier de la création de la jeune malade Calixte, en qui il voyait un être tenant à peine à la terre, mitoyen entre la femme et l’ange. De même le dénouement du roman l’enchantait par son horreur « shakspearienne. »