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même. C’est cela qu’à leur tour, ils enseignent à leurs soldats. Le réveil est parfois bien brusque et bien cruel.

Après trente ans de bons et loyaux services, M. le colonel de Saint-Remy reçoit l’ordre d’envoyer un escadron à Lanouée. Il aurait dû obéir sans aucun doute ; mais qui mesurera l’étendue de la désillusion qui s’est produite en lui ! Un grand poète a écrit autrefois un chapitre célèbre intitulé : Une tempête sous un crâne. Il s’est probablement passé quelque chose de semblable dans l’âme en détresse du colonel de Saint-Remy. Il ne s’est pas bercé de vaines espérances. Il a parfaitement compris qu’il brisait sa carrière militaire. N’importe : il en a pris son parti. Bien qu’il se soit trompé en le prenant, et qu’il se soit exposé à la mesure qui vient de le frapper, il emporte avec lui, à défaut de l’approbation qu’ils ne peuvent pas lui donner, l’estime attristée de tous les hommes de cœur. Son attitude devant le conseil de guerre, simple, digne, sérieuse, sans affectation ni déclamation d’aucune sorte, donne en effet à croire que, loin de chercher son intérêt personnel dans l’attitude qu’il a prise, il l’a résolument sacrifié. Il a dû beaucoup souffrir et se sentir très malheureux. Voilà ce que nous avons à dire de lui. Mais que dire d’un gouvernement qui, par une politique maladroite et brutale, oblige un brave soldat, sans doute peu subtil et peu habitué aux distinctions des casuistes, à se poser d’aussi redoutables problèmes de conscience et à s’y égarer ? Que dire d’un gouvernement qui se condamne lui-même à employer notre armée nationale, notre armée dont les regards anxieux sont tournés du côté de la frontière, à une tâche humiliante pour la police elle-même, dont pourtant c’est le métier de la remplir ? Oui, le colonel de Saint-Remy s’est trompé ; il a manqué à son devoir militaire ; il a donné un exemple que nous ne conseillons à personne d’imiter. Mais que dire d’un gouvernement qui fait naître dans l’esprit de nos officiers des doutes, des perplexités, des inquiétudes telles, que, se croyant placés entre les ordres de Dieu et ceux qui leur viennent d’une autorité humaine, — sans même qu’on puisse savoir exactement laquelle, — ils hésitent, se troublent, et se réfugient enfin dans l’abstention ?

On ne sait même pas au juste, avons-nous dit, de qui sont venus les ordres donnés au lieutenant-colonel de Saint-Remy. Est-ce de l’autorité civile ? Est-ce de l’autorité militaire ? C’est le point que le conseil de guerre de Nantes s’est efforcé d’éclaircir, mais qu’il a plutôt obscurci. L’avocat du colonel de Saint-Remy, Me  Giraudeau, a longuement développé les argumens auxquels prêtait cette confusion. Le colonel lui-même n’en a pas dit un mot, et il résulte de sa