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directement la jeunesse à ce qu’elle devait faire un jour, ne les ait pas empêchées d’obtenir un si grand succès. Je crois que la raison en doit être cherchée dans les circonstances politiques. La parole ne pouvait pas garder sous l’empire la place qu’elle occupait du temps de la république. Tacite dit quelque part « qu’Auguste avait pacifié l’éloquence comme tout le reste. » Cette expression est de nature à nous causer quelque inquiétude. Elle rappelle une autre phrase célèbre où il fait dire à un ennemi des Romains que, « lorsqu’ils n’ont plus rien laissé dans un pays, ils se vantent d’y avoir établi la paix : ubi solitudinem faciunt, pacem appellant. » C’eût été en effet un moyen commode et sûr, pour prévenir les excès de la parole, d’empêcher tout le monde de parler. Cependant Auguste ne l’a pas employé. On ne peut pas prétendre que l’empire ait été tout à fait un régime de silence. On continuait à parler au Sénat, dans les tribunaux civils et criminels, dans les salles de lectures publiques ; il semble même que le prestige de l’éloquence n’ait subi aucune atteinte ; elle est toujours pour Quintilien le premier des arts, presque le seul, et l’éloge qu’en fait Aper dans le Dialogue des orateurs est plus exagéré, plus dithyrambique que celui de Cicéron, dans le De oratore. Il est sûr pourtant qu’elle n’a plus la même puissance qu’autrefois ; elle a cessé de s’adresser directement au peuple, ce qui faisait sa force sous la république. Il n’y a plus d’assemblées populaires, et l’empereur est le seul qui, dans quelques occasions solennelles, monte à la vieille tribune que décoraient les rostres des vaisseaux d’Antium. Au Sénat, où se décident encore de grandes affaires, la parole n’est pas libre ; on ne dit jamais toute sa pensée, et l’on est souvent forcé de dire le contraire de ce qu’on pense. Il est donc devenu moins nécessaire qu’autrefois d’exercer les jeunes gens à un art qui a perdu de son importance. Et pourtant on les y exerce toujours, peut-être même avec plus de passion qu’auparavant. Jamais les leçons des rhéteurs n’ont été plus suivies, ni leurs écoles aussi peuplées. Seulement la déclamation, qui notait d’abord qu’un moyen, tend de plus en plus à devenir son propre but ; on déclamait pour apprendre à parler, on déclame pour déclamer. Mais en même temps, on s’aperçoit qu’en elle-même, et en dehors de la facilité qu’elle donne pour la parole, la déclamation n’est pas un exercice inutile. Elle est faite pour former des orateurs et il se trouve qu’elle profite à d’autres. Pour convaincre quelqu’un et l’amener