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encore ni de calcul qui démontre « l’objectivité du monde extérieur, » ni de balance où se contrepèsent « les antinomies de la raison pure. » Comment donc, en ces conditions, osera-t-on parler de « Métaphysique positiviste » ou de « Positivisme métaphysique ? » la contradiction ne crève-t-elle pas les yeux ? et quel moyen pourrait-il y avoir de réconcilier, ou de faire vivre ensemble, ces deux puissances, dont l’une, le positivisme, ne reconnaît d’autorité, d’existence, ou de réalité qu’au fait, et dont l’autre, la métaphysique, dirait volontiers « qu’il n’y a rien de plus méprisable qu’un fait ? »

Mais les faits, puisqu’on les invoque, ont leur logique à eux, qui ne s’accorde pas toujours avec la nôtre, ni avec celle des traités de Logique, et, en fait, on sait déjà que les conclusions finales du positivisme ne sont pas celles qu’on se fût attendu qui sortiraient de ses principes. En fait, ce n’est pas seulement d’une métaphysique, c’est d’une religion que s’est couronnée la philosophie d’Auguste Comte. En fait, si nous en voulions croire M. Ch. Renouvier, dans sa Philosophie analytique de l’histoire, cette religion conserverait de nos jours, en France, en Angleterre, et ailleurs, — au Brésil notamment et dans l’Amérique espagnole, — plus d’adhérens que la philosophie positiviste elle-même[1]. Elle aurait en même temps « plusieurs des caractères que connote ce mot de religion : grâce à la nature surnaturelle des objets de son culte ; à son règlement universel de vie ; à la rigueur de sa discipline morale ; et à la forme réellement extatique et mystiquement inspirée de sa production. » L’énumération n’est pas complète : ces caractères ne sont pas les seuls qui distinguent la religion positiviste de tant d’autres essais de religion rationnelle ; et je me propose de le montrer dans une prochaine étude sur la Religion comme sociologie. Mais quand M. Renouvier ajoute que « la phase religieuse du positivisme est la plus violente et la plus extraordinaire négation de sa phase première, » c’est sa logique, à lui, qu’il ne craint pas, comme autrefois Littré, de substituer à la réalité des faits. Il abuse, contre Auguste Comte, et contre le positivisme, de quelques-uns de leurs aveux. La métaphysique du positivisme, que je ne distingue pas, pour le moment de sa religion, bien loin d’être « la plus violente et la plus extraordinaire négation de ses principes, » en est

  1. Ch. Renouvier, Philosophie analytique de l’histoire, t. IV, p. 245.