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serre chaude me paraissant funestes ; et d’ailleurs je ne trouvais de leçons vraiment utiles dans celles qu’il prenait, que le catéchisme, celles que donnait M. Barrande et celles de M. Collart qui se prenaient partout. Il y avait aussi quelques leçons de dessin, mais presque toutes nos après-dînées se passaient au grand air.


L’année suivante, ce système d’éducation avait déjà porté ses fruits ; le gouverneur s’occupait constamment du prince ; il avait obtenu sa confiance, et dans les entretiens particuliers qu’il avait souvent avec lui, il pouvait voir que son royal élève saurait employer les admirables qualités dont la Providence l’avait doué. Mais la révolution de 1830 va rendre plus délicate la tâche du baron de Damas : ce n’est plus l’héritier présomptif du trône qu’il aura pour élève, c’est un roi[1]. Et d’abord, comment apprendre à cet enfant de dix ans l’abdication de son grand-père et de son oncle ? Il eût été plus naturel que ceux-ci s’en chargeassent, mais, dans le désarroi de ces douloureux instans, ils laissèrent cette tâche à son gouverneur.

La duchesse de Gontaut, dans ses Mémoires, a raconté d’une façon un peu théâtrale cette scène, qui fut en réalité beaucoup plus simple, sans pourtant manquer de grandeur.


J’employai, dit le baron de Damas, tous les ménagemens possibles : l’enfant fut charmant, il se jeta dans mes bras, pleura beaucoup ; il fut touchant. Mon cœur s’en réjouit ; la Providence ménage ainsi aux hommes des consolations au milieu des épreuves les plus douloureuses.


Nous ne suivrons pas la famille royale dans son triste exode. Dès l’arrivée à Holyrood, commencent des malentendus, qui iront toujours en s’accentuant, et le rôle du gouverneur est parfois ardu. Quelque jeune que fût l’enfant, il était trop spirituel, trop avancé pour ne pas se douter des divisions de sa famille et des intrigues qui l’environnaient. Il entendait dire souvent que sa mère était une héroïne ; on parlait avec moins de considération

  1. Le baron de Damas contestait d’autant moins la validité des abdications, que c’était lui qui avait pressé le Roi et le Duc d’Angoulême de les signer. « Est-il vrai, dis-je au Roi, qu’on a parlé d’abdication à Votre Majesté ? — C’est vrai, me dit-il, et je suis assez disposé à le faire. — Mais, dans ce cas, Sire, il n’y a pas un moment à perdre. — Je verrai, dit le Roi ; ce soir ou demain matin. » Ici j’insistai avec force : « Vous avez déjà perdu trop de temps ; ce n’est ni ce soir ni demain. Dans ma pensée l’abdication n’est pour ainsi dire pas permise ; mais si c’est un moyen de sauver l’État, il faut le faire tout de suite. » (Mémoires inédits du baron de Damas.)