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comme l’aurait été sans doute celui de Prométhée, si Prométhée avait été terminé. Faust veut s’égaler à Dieu, se mesurer avec Dieu ; il retombe dans son humanité, et il entraîne dans sa chute Marguerite, dont la destinée est associée à la sienne.

Le plan est très simple, quoiqu’il ne soit pas rigoureusement délimité et qu’il laisse çà et là bien des ouvertures et des échappées à l’imagination du poète. Le début est celui de la pièce de marionnettes, celui de la tragédie de Marlowe. Faust est assis devant son pupitre chargé de fioles, de boîtes et d’instrumens, dans sa chambre à voûtes ogivales, haute et étroite : « J’ai tout étudié, hélas ! la philosophie, la médecine, la jurisprudence, et même, ô misère, la théologie, à fond, avec un ardent labeur, et me voilà, pauvre fou, aussi sage que devant ! » La lune, l’astre propice aux opérations magiques, jette sa lumière par la haute fenêtre : « Oh ! si tu voyais ma souffrance pour la dernière fois, astre éclatant, que j’ai suivi si souvent, quand je veillais jusqu’à minuit devant ce pupitre ! Alors, par-dessus des livres et des papiers, tu m’apparaissais, mélancolique amie. Ah ! que ne puis-je, sur les cimes des monts, marcher dans ta lumière chérie, planer avec les esprits dans le creux des rochers, flotter sur les prairies dans ton jour crépusculaire, et, secouant toute cette science fumeuse, me baigner dans ta rosée et y puiser une nouvelle vie ! » C’est son premier appel à la « nature vivante », suivi aussitôt de ce cri, qui semble un écho des chants du Voyageur : « Fuis ! lève-toi ! répands-toi dans le vaste monde ! » Faust ouvre son livre de magie. Il rencontre d’abord « le signe du macrocosme », c’est-à-dire de l’univers, de la totalité des choses, et déjà le signe commence à s’animer devant ses yeux, lui montrant les puissances célestes qui montent et descendent, lorsqu’il tourne le feuillet d’un geste impatient. Que lui importent les espaces planétaires, avec leurs horizons froids et incolores ? « Ce n’est qu’un spectacle ! » Ce qu’il veut, c’est être un dieu sur la terre, comme Prométhée. Il s’arrête sur le signe de l’Esprit de la terre. « Comme ce signe agit autrement sur moi ! Esprit de la terre, tu es plus près de moi. Déjà je sens mes forces grandir ; je brûle, comme enivré d’un vin nouveau ; je me sens le courage de m’aventurer dans le monde, de porter ce que la terre contient de douleur et de joie, de lutter contre la tempête, et de ne pas trembler dans le fracas du naufrage. » Ces paroles contiennent la somme des ambitions tumultueuses de Faust et,