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de Gœthe et Schiller. Erich Schmidt, l’auteur d’une excellente biographie de Lessing, entra en relations avec le lieutenant-colonel de Gœchhausen, qui lui laissa visiter les papiers provenant de la succession de sa grand’tante. « Je m’attendais surtout, raconte-t-il, à mettre la main sur une quantité de lettres qui auraient été les bienvenues ; mais il m’arriva ce qui était arrivé à Saül, qui partit pour chercher les ânesses de son père et qui trouva un royaume. Déjà je voulais m’en retourner, sans avoir absolument perdu ma peine, mais sans que ma chasse eût été précisément fructueuse, quand mon attention fut encore attirée par un gros in-quarto : Extraits, Copies, etc., tirés de la succession de mademoiselle Louise de Gœchhausen. Je tournai les feuillets d’une main impatiente ; je passai des Dernières Aventures du jeune d’Olban à de petits vers extraits d’almanachs français et allemands ; c’étaient ensuite des fragmens d’Ossian, des sentences tirées de Shakespeare ou d’Agnès de Lilien, la Lénore de Bürger, le songe de Franz Moor, de petits récits de voyage, des farces et des poésies de circonstance…, enfin le discours de Méphistophélès sur le collegium logicum. Ceci encore ne me parut pas nouveau ; je crus avoir devant moi le Fragment de 1790, dans une copie de la très écrivassière dame d’honneur. Mais un regard de plus me fit découvrir des régions inconnues. Je revins au commencement, et je remarquai que les deux premiers vers avaient une forme différente. Je courus à la fin, et je vis, non sans émotion, que la scène de la Prison était en prose. Plus de doute, c’était le Faust primitif qui nous était conservé dans une bonne copie. »

Ce qui frappe d’abord dans le Faust primitif, c’est sa parenté avec les autres fragmens de la même époque. Le style se rapproche de celui du Juif errant. Les deux élémens dont se compose la langue du Juif errant sont partagés, pour ainsi dire, entre les deux personnages principaux du Faust ; le ton sérieux est échu à Faust ; le ton ironique, sarcastique, parfois trivial, à Méphistophélès. La forme est le petit vers brusque et familier de Hans Sachs, coupé çà et là par un vers plus long, ou remplacé par le petit vers rythmé de Prométhée. Le sujet est bien dans l’esprit de la période Sturm-und-Drang ; c’est la poursuite d’un idéal inaccessible à l’homme, une irruption téméraire de la créature mortelle dans la sphère divine, aboutissant à un dénouement tragique comme devait l’être celui de Mahomet,