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tômes de l’empire qu’allait prendre la routine. Désormais la grande préoccupation de l’homme de mer, chef d’une flotte, allait être l’exacte observation des règles. La considération pratique du désastre à éviter allait l’emporter sur l’effort offensif. Avec le xviiie siècle commence l’ère pacifique de Walpole. Lorsque des guerres navales eurent de nouveau lieu au milieu du siècle, « la ligne de bataille » était plus que jamais le fétiche du jour. Mais elle était une fin en elle-même, et non plus un moyen accompagnant d’autres moyens pour la défaite et la destruction de l’ennemi. L’ordre de bataille devait être conservé à tous hasards, même au risque d’entraîner à une bataille inutile (Mathews à Toulon en 1744, Byng à Minorque en 1756). Mathews et Byng ne furent ni des lâches, ni des imbéciles, simplement des hommes ordinaires, manquant d’originalité et d’initiative, esclaves d’une tradition qui était un instrument admirable en lui-même à la condition que l’on sût s’en servir.

Mahan a entrepris de montrer comment la marine anglaise fut peu à peu débarrassée de ces impressions dérivées des habitudes et des exercices d’une longue paix. « Aucune servitude, dit-il, n’est plus désespérée que la soumission inintelligente à une idée apparemment correcte, mais incomplète. Elle induit déplorablement en erreur comme fait une demi-vérité non contrôlée par l’appréciation des conditions qui modifient son aspect. Et c’est ainsi que des hommes de mer, dans leur dédain de la théorie, dans leur conviction d’être avant tout des hommes “pratiques”, sont devenus des doctrinaires dans le pire sens du mot. » Ce jugement s’appliquait aux officiers de mer britanniques de la première moitié du xviiie siècle. Mais on est disposé en Angleterre à penser que de telles observations visent aussi bien bon nombre d’officiers de mer du temps présent. L’Angleterre redoute que ses marins, comme ses militaires, au lieu de considérer et d’étudier les principes mêmes de la stratégie et de la tactique, n’aient un culte aveugle pour les simples méthodes qui dans le passé ont servi à l’application de ces principes, et que la forme ne se soit une fois de plus substituée à l’essence.

C’est pourquoi l’armée anglaise dans la guerre de l’Afrique du Sud s’est trouvée si inférieure à la tâche qu’elle avait à remplir, et la pensée qu’il en pourrait être de même, le cas échéant, de l’armée navale, est la cause d’un grave souci patriotique pour beaucoup d’esprits clairvoyans au-delà du détroit.