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bable que le motif qui donnera aux États-Unis une marine est en voie de formation dans l’isthme central américain. Espérons qu’il ne surgira pas trop tard. » Dans un autre passage, Mahan insistait sur l’importance stratégique que prendront la mer des Caraïbes et le golfe du Mexique par suite du percement d’un canal interocéanique et à cause de l’instabilité politique des États de l’Amérique tropicale : « La demande pour un gouvernement plus réglé devra surgir dans ces États livrés au désordre… Quand cette demande s’élèvera, aucune position théorique, comme la doctrine de Monroe, n’empêchera les nations intéressées d’essayer de remédier au mal par quelque mesure, qui, de quelque nom qu’on la pare, sera une intervention politique. Cette intervention produira des collisions, qui pourront peut-être parfois se résoudre par l’arbitrage, mais fort probablement, d’autres fois, conduiront à la guerre… Autant qu’on le peut préjuger, le moment viendra où les États de l’Amérique tropicale devront être dotés de gouvernemens stables par les États puissans et stables qui existent actuellement en Amérique ou en Europe. La position géographique de ces États, leurs conditions climatologiques, établissent clairement que la maîtrise de la mer (sea power), déterminera à quel État étranger sera l’ascendant… La situation géographique des États-Unis et leur force intrinsèque leur donnent un incontestable avantage. Mais cet avantage ne leur servira pas s’il existe une grande infériorité au point de vue de la force matérielle organisée, qui constitue le dernier argument pour les républiques comme pour les rois[1]. » Tout le volume, si divers en apparence que soient les sujets isolément traités, est un développement de cette idée que les États-Unis, pour soutenir la doctrine de Monroe, doivent devenir une forte puissance navale. Les articles qui le composent ont une allure prophétique. Ils annoncent un avenir prochain, et cependant ils commencent à dater, car l’avenir annoncé se réalise déjà. Le ton même de ces

  1. « Les États-Unis, dit-il encore, sont-ils disposés à laisser l’Allemagne acquérir la forteresse hollandaise de Curaçao, en face du débouché du futur canal, qu’il soit creusé dans l’isthme de Panama ou à travers le Nicaragua ? Sont-ils disposés à laisser une puissance étrangère quelconque acquérir dans Haïti une station navale qui commandera la route de nos steamers vers l’isthme ?… Voudra-t-on soutenir que, sur chacune de ces questions, notre droit est si clair, et tous les argumens si complètement en faveur de notre cause que la partie adverse, en cas de discussion, se hâterait de renoncer à ses désirs et de se retirer gracieusement devant nos prétentions ?… La devise gravée sur les anciens canons, Ultima ratio regum, a aussi son application aux républiques. »