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études permet d’apprécier quel énorme espace ont parcouru les États-Unis sur le chemin où Mahan les voulait voir s’engager. L’auteur n’aurait plus à les écrire aujourd’hui ; la plupart des questions qui y sont posées sont actuellement résolues et ont justement reçu les solutions qu’il tenait pour désirables. Mahan n’aura pas joué le rôle de Cassandre. Dans le temps même où il adjurait son pays de devenir une grande puissance navale pour ne pas livrer la doctrine de Monroe à la risée de l’Europe, les États-Unis se construisaient une marine de guerre, et un groupe de sénateurs patriotes, à Washington, préparait le double coup qui devait enlever à l’Espagne ses dernières possessions aux Antilles et rendre le gouvernement américain maître de la future communication interocéanique par l’isthme de l’Amérique centrale.

Au début de la guerre contre l’Espagne, en 1898, le gouvernement fédéral institua un Comité naval consultatif (Board of Naval Strategy) chargé d’assister le ministre de la marine dans la direction de la politique stratégique du département. La compétence du capitaine Mahan, comme « expert » en matières navales, était trop bien établie pour qu’il ne fût pas appelé à prendre part aux travaux de ce conseil. Il a donc contribué à la préparation des décisions les plus importantes prises par le gouvernement pour les mouvemens des escadres. Sa présence et son autorité ne purent toujours prévaloir contre l’impuissance à peu près radicale où se trouve un comité, par sa nature même, à donner une direction énergique et assurée aux opérations sur mer ou sur terre, surtout lorsqu’il se tient en un contact trop intime et continu avec une opinion publique très impérieuse et toujours prompte à l’exaltation. Quelle qu’ait été l’action de ce comité, les faits de guerre établissent que les officiers de la flotte firent preuve en toutes circonstances d’une vaillance et d’une capacité tout à fait remarquables, mais que le commandement, sauf à Manille, où d’ailleurs le comité n’eut rien à voir, fut assez indécis, et d’une irrésolution qui eut parfois l’apparence de la timidité. La querelle entre les amiraux Schley et Sampson a été très édifiante à cet égard. Il s’agissait de savoir qui, du commandant en chef ou de son subordonné immédiat, avait gagné la bataille navale de Santiago, où les croiseurs espagnols furent anéantis en moins de trois heures. Le président des États-Unis eut à décider en dernier ressort ; il déclara que la bataille avait été ga-