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revanche les marchands de Moscou valent presque en leurs libéralités les milliardaires américains et nulle part le culte du négoce dont le temple aux rites mieux réglés, mieux organisés sans doute, est à New-York, ne se manifeste avec plus de véhémente ferveur que dans la cohue cosmopolite d’une foire telle que celle de Nijni-Novgorod.

Si je voulais me faire l’écho de certains pronostics révolutionnaires sur la transformation future de l’empire des Tsars en une vaste fédération, apparemment justifiée par l’extraordinaire mosaïque de races, il me faudrait aussi imposer à ces symptômes, encore très vagues, de décentralisation et de démocratie, telles velléités, plus vagues encore, d’impérialisme qui se manifestent au sein de la grande république d’outre-mer ; et le parallèle, intéressant d’ailleurs, nous entraînerait trop loin. Mais je soulignerai pour finir un point de ressemblance, le plus frappant, de tous, peut-être. Dans les deux pays, le mouvement féministe, très accentué, a le même caractère, c’est-à-dire qu’il n’implique aucun sentiment d’antagonisme ni de révolte contre le sexe fort, et cela par la bonne raison que l’homme en général, Américain ou Russe, favorise plutôt qu’il ne les contrarie, et en tout cas ne raille jamais cette soif de savoir, ce besoin effréné de culture, qui sévit chez l’« Eve nouvelle. » Il faut dire que l’égalité des sexes est reconnue par la loi au pays de l’absolutisme beaucoup plus qu’on ne le croit généralement, de grandes impératrices l’ayant gouverné d’une main ferme, et la femme de toute classe y possédant des privilèges inconnus chez nous, par exemple la libre disposition de ses biens qu’elle peut administrer à sa guise et sans contrôle. Le mariage en Russie est une institution purement religieuse, un sacrement qui impose aux deux époux les mêmes devoirs et les mêmes responsabilités. Il n’est inscrit que sur le registre paroissial ; de l’église seule dépend sa consommation et au besoin sa dissolution. Mais en ce dernier cas le règlement des questions pécuniaires incombe bien entendu aux tribunaux qui les tranchent immanquablement d’une façon avantageuse pour la femme. Et dans le ménage le mieux uni, elle reste parfaitement libre d’allier ou non ses intérêts à ceux de son mari. Bien entendu il n’en fut pas toujours ainsi. La famille russe fut à l’origine organisée à peu près sur le modèle de la famille orientale et prisonnière de la rigueur des lois byzantines. Jusqu’au XVIIIe siècle, la femme fut censée craindre son mari quoique ce