Il y a, en résumé, pour chaque substance, un ensemble de conditions (température, degré de concentration, volume de la solution) dans lesquelles les individus cristallins ne peuvent se reproduire que par germes ou par filiation. C’est ce qui arrive pour le bétol au-dessus de 30°. Le corps est alors dans ce que Ostwald a appelé la zone ou l’équilibre métastable. Mais il y a aussi, pour le même corps, un ensemble de circonstances plus ou moins complexes où ses germes apparaissent spontanément : c’est ce qui arrive pour le bétol, vers la température de 10°. Ces circonstances sont celles de l’équilibre labile ou de la génération spontanée.
On peut faire un pas de plus. — Supposons, avec L. Errera, un liquide qui se trouve dans l’état d’équilibre métastable, et dont nous ne connaîtrions pas encore l’équilibre labile. — Et ceci arrive précisément pour un corps très répandu, la glycérine. — Nous ne savons pas dans quelles conditions la glycérine peut cristalliser spontanément. Si on la refroidit, elle devient visqueuse : on ne l’obtient pas en cristaux de cette manière. — On ne l’obtenait même en cristaux, d’aucune autre manière, avant l’année 1867. — Cette année-là, dans un tonneau envoyé de Vienne à Londres, pendant l’hiver, on trouva la glycérine cristallisée, et Crookes montra ces cristaux à la Société chimique de Londres. Quelles circonstances avaient déterminé leur formation ? On l’ignorait alors. On le soupçonne à peine maintenant. C’était un cas de génération spontanée.
Il est permis de dire que cette espèce cristalline est apparue, comme ont pu le faire les espèces vivantes, à un moment donné dans un milieu où le hasard favorable avait réuni les conditions de sa production. Et c’est bien, en effet, quelque chose de comparable à la création d’une espèce vivante, car celle-ci, une fois apparue, a pu être perpétuée. Les individus cristallins de 1867 ont eu une postérité. On les a semés sur de la glycérine en surfusion et ils s’y sont reproduits. Ces générations ont été assez nombreuses pour que l’espèce ait pu se répandre dans une grande partie de l’Europe. M. Hoogewerf en montrait de nombreux exemplaires, emplissant un grand flacon, aux naturalistes hollandais réunis à Utrecht, en 1891. M. L. Errera en présentait d’autres, en juin 1899, à la Société des Sciences médicales et naturelles de Bruxelles. Aujourd’hui, la grande fabrique Sarg et Cie, de Vienne en pratique l’élevage en grand, dans un but industriel.