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réunissaient à Lens au nombre de 140, et ils rédigeaient un ordre du jour, pour dire quoi ? Que le Comité des houillères avait parfaitement raison, que la question des salaires ne pouvait pas recevoir une solution uniforme, et qu’elle devait être traitée séparément dans chaque compagnie entre ouvriers et patrons. Aussitôt M. Basly a prié les préfets du Nord et du Pas-de-Calais de vouloir bien servir d’intermédiaires entre patrons et ouvriers, pour une entente redevenue possible. Le Comité national s’est ému ; il a protesté contre le schisme de M. Basly. Blâmé par les uns, approuvé par les autres, celui-ci a tenu bon jusqu’à présent. Telle est la situation au Nord. Dans le Centre et dans le Midi, la crise a plutôt un caractère politique : on y maintient intégralement le programme des revendications ouvrières. On s’y plaint de la mollesse et de l’inertie du gouvernement, et la grève n’y est autre chose qu’une sommation adressé aux pouvoirs publics. Mais, ni au Nord, ni au Centre, ni à l’Est, l’unanimité des ouvriers n’est acquise à la grève. Dans certains bassins, celui de Montceau-les-Mines par exemple, le mouvement gréviste ne s’est même pas fait sentir encore. Enfin les syndicats jaunes se sont organisés un peu partout pour la résistance aux syndicats rouges, comptant sur eux-mêmes plus que sur le ministère pour assurer la liberté du travail.

Celui-ci a toutefois mis sur pied un nombre de troupes considérable ; mais il ne suffit pas d’avoir beaucoup de troupes sur les lieux, s’il n’y a pas, à Paris même, de la résolution et de l’énergie ; et, à cet égard, l’incident de Terrenoire nous inspire des craintes. Placé dans le cas de légitime défense, à côté d’un de ses camarades, qui était tombé sous un coup de pierre, un gendarme a fait feu et a tué un de ces agresseurs : une instruction a été ouverte et le gendarme arrêté ! Il ne faudrait pas beaucoup de faits comme celui-là pour énerver la force publique. Déjà le Comité national des mineurs, prévoyant des conflits possibles, sinon probables, prêche l’indiscipline dans l’armée. Aussitôt après avoir proclamé la grève générale, il a publié un manifeste dont un passage s’adresse spécialement « aux soldats. » On leur cite comme un modèle à suivre le colonel de Saint-Rémy, qui a refusé d’exécuter des ordres que sa conscience désavouait. Les socialistes avaient poussé des clameurs de colère contre le colonel de Saint-Rémy en apprenant son refus d’obéissance : ils se ravisent aujourd’hui. Nous n’avions que trop prévu le parti qu’ils essaieraient de tirer de cette affaire, et ce qui se passe aujourd’hui montre que nos craintes n’étaient pas tout à fait vaines.

On se demande pourquoi les ouvriers mineurs ont choisi le