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sa compétence. M. Roosevelt avait eu soin de dire qu’il n’intervenait pas comme président de la République, mais comme homme. Ces distinctions subtiles échappent à l’esprit des masses, et il faut bien avouer qu’elles correspondent assez mal à la réalité. Dans certains cas, l’homme est inséparable de la fonction qu’il exerce : cela arrive surtout lorsque la fonction est si haute qu’elle dépasse l’homme et qu’il lui doit son prestige. Mais cette digression, quelque instructive qu’elle soit, nous entraînerait trop loin si nous voulions y insister. Ce qui est sûr, c’est que la crise américaine, en se prolongeant comme elle le fait, a encouragé nos propres ouvriers. On leur avait dit l’année dernière que, s’ils se mettaient en grève, il serait facile de faire venir du charbon d’Amérique, et aujourd’hui l’Amérique a besoin d’en importer beaucoup en prévision d’un hiver qui s’annonce comme rigoureux. Mais le charbon est abondant en Angleterre, en Belgique, en Allemagne, et il y en a en France, dans toutes les compagnies qui en usent, des réserves si considérables que l’arrêt de la production ne sera guère préjudiciable qu’aux compagnies houillères et aux malheureux ouvriers.

Ce sont ces derniers qui sont appelés à en souffrir le plus douloureusement. Victimes des chimères dont on les a nourris, ils ont couru d’eux-mêmes au-devant d’une épreuve qui ne se terminera pas sans de grandes souffrances. M. Combes, dans un discours qu’il a prononcé, le 6 octobre, au banquet du Comité républicain du Commerce et de l’Industrie, avait, tout entier à l’obsession principale de son esprit, parlé surtout de la loi sur les associations et du courage avec lequel il l’appliquerait jusqu’au bout. Il a pourtant consacré quelques phrases à l’éventualité de la grève générale, mais pour l’écarter avec un bel optimisme. « A quoi bon, a-t-il dit, cet expédient désastreux dans un pays à régime représentatif comme le nôtre, qui possède deux Chambres également imprégnées de l’esprit démocratique et un gouvernement acquis d’avance à tous les projets tendant à l’amélioration du sort des classes ouvrières ? » A quoi bon ? demande M. Combes, comme s’il suffisait qu’une chose ne fût pas bonne pour qu’elle n’arrivât pas. Son gouvernement est arrivé pourtant, et beaucoup d’autres choses arriveront encore qu’il ne parait pas avoir prévues. Tandis qu’il sauvait la République, trop facilement en vérité ! d’un danger imaginaire, un danger véritable est apparu cette fois, inquiétant, menaçant, peut-être sinistre. Mais nous ne voulons pas affaiblir M. Combes par des paroles inopportunes : puisse-t-il conjurer ce danger !