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Plus catégorique encore est le capitaine Joalland, qui a parcouru tout ce pays à la tête de la mission de l’Afrique centrale. Il constate combien les Oulad-Sliman, les nomades du nord du Tchad, sont pillards : « C’est à eux surtout que l’on doit imputer la ruine du Kanem ; parasites des noirs, ils vivent du travail de ces derniers ; » et il ajoute : « Les noirs sont les seules gens intéressans du Kanem proprement dit. Du sud du Chittati, jusqu’au Bahr-el-Ghazal, et du Tchad jusqu’à cette grande zone déserte qui sépare le Ouadaï du Kanem, existe un pays riche en grains, en dattes, en bétail. Quand on songe aux richesses que ce pays peut produire, malgré son état d’anarchie et les luttes qu’il a été obligé de soutenir, on est en droit d’espérer en faire une colonie splendide, maintenant que nous y avons apporté la paix et établi l’unité du commandement[1]. »

Il est un autre témoignage, dont le poids est des plus grands : c’est celui de M. Gentil, administrateur colonial, le seul Européen qui, à différentes reprises, sur un petit vapeur portant les couleurs françaises, ait navigué sur le Tchad ; dans deux campagnes successives, de 1895 à 1898 et de 1899 à janvier 1901, il a conquis à la France les deux tiers des rives du grand lac. Sur la richesse et les « possibilités » du pays, ses dépositions sont formelles et décisives. Nous ne lui ferons que quelques courts emprunts. Après la bataille de Koussouri, où périt le sauvage conquérant noir Rabah, M. Gentil fait une excursion jusqu’à Dikoa, qui était devenue la capitale de ce tyran. La première impression qu’il reçoit est médiocre : « Le terrain entre Koussouri et Dikoa est généralement très plat. La pluie n’est tombée qu’une fois ou deux ; aussi tout semble sec et aride. Des étendues de plaines immenses, où poussent quelques arbres chétifs et rabougris, c’est tout ce qu’on aperçoit. Nous avons vraiment la sensation d’un paysage saharien. » Excellent observateur, toutefois, M. Gentil, corrige lui-même cette impression défavorable : « Mais, en prêtant un peu d’attention aux choses qui m’entourent, mes idées se modifient peu à peu. D’abord, nous rencontrons à chaque instant de nombreux villages. Le pays est très habité et sa population très dense. De plus, ce que j’ai pris pour des plaines incultes et désertes, ce sont en réalité d’immenses champs qui viennent d’être ensemencés. Partout il y a des rigoles qui

  1. Bulletin du Comité de l’Afrique française, juin 1901, p. 192.