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besoins, mais aux travailleurs agglomérés il fallait un outillage amélioré.

C’est grâce à la différenciation que le capital a pu être mis à la disposition du technicien, et le produit fabriqué là où les circonstances étaient favorables et avec les moyens les plus propres à produire vite et bien ; c’est grâce à elle que ce produit a pu être envoyé là où il était réclamé et où sa consommation était assurée. Sans le capital suivant de près l’accroissement de la population, la diversité des besoins, les progrès de la technique, il serait arrivé un moment où les producteurs eussent manqué de débouchés et les consommateurs de produits ; le monde eût été en proie à la misère et à la famine. Le capital s’est adapté aux conditions de la vie sociale, à la situation du marché économique, aux perfectionnemens des forces de travail. L’on n’a pas vu tout à coup un capitaliste faire sortir du néant une fabrique ou un grand établissement industriel. La fabrique est un des anneaux de la longue chaîne qui nous relie au passé. Et si les hordes aux mœurs errantes, vivant au jour le jour, de cueillette, de chasse et de pêche, étaient inférieures au ménage domestique qui sous l’autorité du père de famille permettait déjà une certaine épargne d’alimens ; si celui-ci, à son tour, était moins organique que le métier corporatif favorable à l’acquisition de richesses locales ; si le système mercantile a réagi contre le particularisme économique et a stimulé le développement de la fortune nationale ; si, enfin, les cadres nationaux de l’ancien régime ont été brisés eux-mêmes et si, aujourd’hui, la politique coloniale, malgré la réaction passagère du protectionnisme, doit de plus en plus faire appel à toutes les énergies combinées du capital international, encore une fois la question se pose de savoir à quel moment il faudra briser la chaîne d’une tradition ininterrompue, retourner en arrière et arrêter le phénomène, en apparence si naturel et si logique, de la formation du capital ?

Sont-ce les souffrances de la société moderne qui devront nous décider à la suppression du capital ? Elles sont indéniables, mais le fleuve de la vie sociale coule avec une telle rapidité que déjà elles se transforment. Quand Marx les dépeignait, en stigmatisant la loi d’airain du salaire, l’appauvrissement des pauvres, l’enrichissement des riches, la concentration des fortunes, il assistait au tâtonnement inquiet d’industries naissantes ; des parvenus brutaux, d’un égoïsme effréné, ne songeaient qu’au profit,