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ronflement des machines se mêle au grincement des poulies, où enfin il est devenu banal de montrer l’ouvrier esclave de la machine et acquérant la dextérité musculaire au prix de l’énergie psychique.

Je m’occuperai dans un instant de la situation de l’ouvrier à ce point de vue. En attendant, il est impossible de méconnaître que, derrière les merveilles de la force mécanique, il y ait de la force mentale ; que l’organisation matérielle de l’industrie du XXe siècle ne soit de la science en action ; et qu’entre le machinisme et la science nous retrouvions la correspondance déjà aperçue entre l’Etat et la liberté individuelle, entre le capital et l’intelligence[1].

Qu’est-ce donc en effet qu’un de nos établissemens industriels, sinon un ensemble d’ouvriers et de machines, de forces intellectuelles et musculaires, de pensées et de mouvemens, tantôt associés, tantôt divisés, en vue de réduire les frais et d’augmenter la production ? Son caractère dominant est l’organisation méthodique du travail, la réunion des travailleurs, des instrumens, des opérations et de mouvemens similaires ; la distinction des travailleurs, des instrumens, des opérations et des mouvemens différens ; la spécialisation des aptitudes et des procédés techniques. Il y a accroissement du rôle de l’intelligence ; et la pensée directrice qui guidait le chef de l’atelier familial se trouve condensée à un plus haut degré dans la collectivité industrielle.

Cette progression de méthode scientifique, nous la rencontrons à la fois dans l’adaptation des ouvriers et de l’outillage. D’abord l’artisan primitif, travaillant chez lui et avec ses outils, ne pouvait réunir à lui seul toutes les qualités productives que l’on rencontre dans une agglomération d’ouvriers d’usine ou de fabrique. Seulement, pour tirer parti de ces qualités qui existent aujourd’hui à l’état latent et dispersé parmi les masses, il faut grouper les travailleurs d’après leurs aptitudes dominantes, distribuer les forces physiques et intellectuelles, établir entre elles des rapports de supériorité et de subordination. Dès lors il s’opère une classification d’après les catégories d’ouvriers et, dans les catégories, une spécialisation individuelle d’après les qualités personnelles ; en somme, une hiérarchie de capacités et de salaires.

  1. Voyez à cet égard l’étude de M. Fouillée dans la Revue du 1er mai 1900, sur le Travail mental et le Collectivisme matérialiste.