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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/180

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Pour les industriels, il semble superflu de le montrer ! Le capital nécessaire à la production transformée en entreprise a, pour la direction des entreprises, réclamé des énergies et des capacités, et il a donc suscité les volontés, les caractères et les talens.

Déjà le Colbertisme, aux fins de réaliser ses projets et de multiplier les manufactures, avait besoin de capitaux ; mais, en même temps, il lui fallait des hommes énergiques pour les mettre en œuvre, et sans le concours de fortes individualités, il eût été dans l’impossibilité d’aboutir.

A plus forte raison la grande industrie moderne a besoin d’intelligences d’élite. De nos jours, un industriel qui veut réussir doit tenir compte des exigences, des goûts, des caprices du consommateur, des élémens du marché économique, des risques à courir, des effets de la concurrence, des possibilités de grèves, des conditions matérielles et morales de la vie ouvrière, des progrès constans de la technique, des découvertes de la science. Il doit avoir de l’initiative, de l’audace, du coup d’œil, du calme, de la patience, du tact, de la fermeté. Et il n’est pas douteux que lorsqu’il réunit les qualités requises, il ne soit une personnalité éminente au même titre qu’un grand savant ou un grand capitaine. C’est soutenu par le capital qu’il concentre, simplifie, économise les frais de production, qu’il organise les forces de travail, qu’il cherche les débouchés, paie des voyageurs, des ingénieurs, des chimistes, des savans, qu’il perfectionne son outillage et ses procédés. Ainsi, à mesure que les exploitations capitalistes prospèrent, il leur faut plus de spécialistes de talent capables de les diriger, de les maintenir, de les améliorer.

Et quand je parle de cette élite, il importe peu, au point de vue où je me place ici, que le capitaliste lui-même dirige l’affaire, où qu’il paie des gérans, des directeurs, des ingénieurs, des explorateurs, des agens de toute nature, pendant que des actionnaires désœuvrés détachent leurs coupons et les dépensent dans les villes d’eaux. Ce qu’il s’agit simplement d’établir, c’est que l’intelligence stimulée par le capital s’élève en même temps que lui et que l’industrie qui progresse s’intellectualise.

Il paraîtra audacieux de parler de la spiritualisation de l’industrie à un moment où, de toutes parts, se dressent devant nous les fantastiques silhouettes et les aveuglantes lueurs d’usines vomissant la flamme ; où, dans le silence des campagnes, le