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I

Voltaire, qui s’y connaissait, a défini l’esprit en ces termes : « Ce qu’on appelle l’esprit est tantôt une comparaison nouvelle, tantôt une allusion fine ; ici, c’est l’abus d’un mot qu’on présente dans un sens et qu’on laisse entendre dans un autre ; là, un rapport délicat entre deux idées peu communes ; c’est une métaphore singulière ; c’est une recherche de ce qu’un objet ne présente pus d’abord, mais de ce qui est en effet dans lui ; c’est l’art ou de réunir deux choses éloignées ou de diviser deux choses qui paraissent se joindre, ou de les opposer l’une à l’autre ; c’est celui de ne dire qu’à moitié sa pensée pour la laisser deviner. Enfin, je vous parlerais de toutes les différentes façons d’avoir de l’esprit, si j’en avais davantage. »

Parmi ces façons différentes, ou ces menus procédés de l’esprit, il n’y en a peut-être pas un qui ne se transpose de lui-même et ne se retrouve naturellement dans l’ordre de la musique.

La musique imitative n’est-elle pas en quelque sorte ouvrière de comparaisons et d’images, quand elle assortit les formes sonores aux idées, voire aux objets qu’elle veut rendre ? Haydn assurait en riant que, dans la Création, l’accord pizzicato qui précède l’apparition de la lumière représentait assez bien le Père Eternel battant le briquet avec une pierre à feu. Si le Falstaff de Verdi célèbre en sa propre personne l’abondance et la gloire de la chair, la musique, et toute la musique, orchestre et voix, s’enfle et se travaille « pour égaler l’animal en grosseur. » Dans Falstaff toujours, lorsque Quickly, la rusée messagère, aborde et salue le héros, l’inflexion du seul mot : « Révérence ! » reproduit comme une comparaison, comme une image sonore, non seulement la malice, mais le geste même et la courbe de ce spirituel abord.

L’allusion se rencontre à tout moment dans la musique. L’œuvre d’un Haydn et d’un Mozart abonde en allusions légères, en phrases, en fragmens de phrase, en notes même qui ne font qu’en rappeler d’autres, en se jouant. C’est une allusion, plutôt pathétique, il est vrai, mais pourtant une allusion, que la fameuse rentrée par anticipation dans le premier morceau de la Symphonie héroïque. Une allusion encore, ironique, insolente, ramène dans la sérénade chantée par Don Juan, pour une