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L’ESPRIT DANS LA MUSIQUE

La musique a de l’esprit. Il est peu de facultés, ou de dons, qu’on s’accorde mieux à lui reconnaître. Dans toute l’histoire de notre art, je ne vois pas un chef-d’œuvre qu’on puisse définir d’un mot, comme on définit en l’appelant « spirituel, » le Barbier de Séville de Rossini. Et notez que ce mot suffit, que l’esprit fait seul toute la beauté de l’ouvrage ; nulle autre qualité ne s’y mêle ; il est tout esprit, rien qu’esprit.

Les « athées de l’expression, » comme le regretté Lévêque appelait ceux qui ne croient qu’à la beauté purement objective et spécifique des sons, ne sauraient eux-mêmes nier que la musique exprime, avec une force incroyable, la joie et la douleur. Elle touche ainsi les deux pôles de l’âme. Or, il semble bien que l’esprit soit le mode le plus léger et le plus brillant, la fleur ou la flamme de la joie. La joie, il est vrai, peut être grossière, ou sotte, et par définition l’esprit ne saurait être cette joie. Il n’est pas non plus l’allégresse héroïque et guerrière. Il ne ressemble pas davantage à l’enthousiasme religieux. Il n’a rien de commun avec le contentement sérieux, austère, et je dirais métaphysique, que répand en nous le thème du finale de la Symphonie avec chœurs. Enfin l’esprit n’est jamais, en musique, une joie malveillante et mauvaise, car la musique est incapable, non de malice, mais de méchanceté.

L’esprit musical n’est rien de tout cela. Qu’est-il donc ? Nous essaierons, en ces quelques pages, d’en étudier la nature, les nuances et les degrés.