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les trois mots, surtout le premier. Après le maximum des sons, tout de suite après, en voici le minimum, presque le néant, image de cet autre néant qu’est devenu le misérable. Et c’est, dans l’ordre de la musique, quelque chose d’analogue aux diminutifs injurieux de Shakspeare : « Œuf de pou ! Cri-cri de cheminée ! Aune et trois quarts d’aune ! » Mais déjà les notes, piquées et brèves tout à l’heure, s’allongent et s’appesantissent. Après un léger dédain, c’est un mépris écrasant qu’elles marquent. La musique, disions-nous en commençant, n’est pas méchante. Une fois au moins, cette fois, elle a su l’être, en ce peu de mesures où son esprit est fait d’ironie amère et d’insultante pitié.

C’est l’ironie encore, mais joyeuse et gaîment vengeresse, que respirent les pages les plus spirituelles du Médecin malgré lui, de Gounod. Il y a là de l’esprit, nous l’avons déjà vu, dans certaines sonorités imitatives. Il y en a plus encore au premier acte, dans la scène (en trio) du diplôme conféré de force et par les coups. La mélodie insinuante y décrit finement les civilités, les précautions oratoires des chercheurs de médecin. La riposte de Sganarelle : « Médecin vous-même ! » n’aurait, sans la musique, ni tant de vivacité, ni tant d’indignation. Et, lorsque le brave homme se vante de savoir, comme pas un, faire les fagots, le contraste n’est-il pas délicieux entre l’emphase de sa vanterie et l’humilité de sa science ? Comme, après la bastonnade, certaine descente chromatique indique bien rabaissement, l’anéantissement de la volonté ! Mais tout à coup cette volonté se relève et se ranime. Elle reparaît sous une figure plus éclatante et plus fière, sous le personnage, imposé d’abord, de médecin, que Sganarelle, avec une ironie copieuse et chantante, avec des transports de joie satirique, se résout, bien plus, s’excite maintenant lui-même à jouer.

Il exulte, ce personnage, et s’élève au comble du comique dans le sextuor de la consultation. Sganarelle a pris la main de la malade et tâté son pouls, dont le cor, en notes inégales, marque les battemens. Il a formulé son diagnostic. L’orgueil alors, l’ivresse et comme la folie de la science, même fausse, l’égaré. Il se croit médecin tout de bon, il l’est peut-être, et c’est en médecin véritable que, sur un rythme de tarentelle, avec un brio rossinien, il entonne un chant de bravoure à la gloire de la profession. Un moment, il s’arrête : « Entendez-vous le latin ? — En aucune façon. » Une gamme aussitôt jaillit, comme un éclair de joie.