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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/222

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convive, l’invitation, — ne fût-elle que parlée, — serait déjà plaisante ; chantée, elle l’est davantage, et chantée sur un air, sur une mélodie charmante en soi, dont le charme n’est qu’un nouveau paradoxe, un dernier raffinement d’ironie.

Les premières pages de la Vie parisienne forment ce qu’on pourrait appeler un tableau de corporation ; tableau musical, avec ces paroles en guise de légende : Nous sommes employés de la ligne de l’Ouest. Personne, avant Offenbach, ne s’était avisé de consacrer la moitié d’un finale à des proclamations de cette nature : Son habit a craqué dans le dos. Et jamais non plus la crainte de ne pas trouver de fiacre en sortant de la gare Saint-Lazare ne s’était exprimée par un chœur, et par un chœur délicieux.

En écoutant de semblable musique, on pense à la musique même. On la revoit, pour ainsi parler, telle que, dans le cours des siècles, non seulement les grands artistes, mais les grands penseurs aussi l’ont faite. Depuis les Aristote et les Platon jusqu’aux Hegel, aux Carlyle, aux Schopenhauer, ils ont tous défini sa nature supérieure et reconnu son éminente dignité. Elle commence, ont-ils dit, où finit la parole ; elle exprime l’ineffable. Dédaigneuse des particularités et des contingences, sans autre objet que le général ou le « purement humain, » elle exprime le sentiment dans son essence, et l’âme, que les autres arts ne surprennent que voilée, se révèle directement par les sons. Autant que les philosophes, les savans ont honoré dans la musique la beauté mystérieuse et divine des nombres, et le moraliste, étudiant ses éthos divers, a pu dénoncer et saluer tour à tour en elle une conseillère, une ouvrière même de nos faiblesses et de nos vertus.

Et voilà qu’un jour, de la sérieuse Allemagne, le musicien de la parodie et de la farce est arrivé parmi nous. Il a fait descendre la musique de ses fonctions augustes à de burlesques emplois. Il lui a donné pour compagne, la plus bouffonne, la plus folle poésie, et l’esprit encore, l’esprit impertinent, même impie, a jailli de cette association ou plutôt de ce désaccord.

Mais ce musicien était un musicien véritable et c’est musicalement qu’il s’est moqué de la musique elle-même. Je dis : musicien véritable, et j’ajouterais volontiers : musicien classique. Rossini ne plaisantait qu’à moitié quand il envoyait à l’auteur d’Orphée aux Enfers sa photographie avec cette dédicace : « Au