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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/221

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mais dont sa musique n’a pas toujours ri : et ce sentiment est l’amour. La « déclaration » de la Grande-Duchesse est sincère ; je sais dans le duo de la Belle Hélène quelques accens de passion véritable ; la « lettre » de la Périchole sourit à travers des larmes, et c’est un petit chef-d’œuvre de jeune et pure tendresse que la chanson de Fortunio.

D’autres pages ont même un charme de rêverie. Sur la légende, chantée au troisième acte de la Grande-Duchesse, du vieux buveur et de son verre brisé, passe un souffle de la Sehnsucht allemande. Plus allègre, le duo de la gantière et du bottier (la Vie parisienne) est dans le sentiment et le style d’un ländler, et telle ou telle valse, prise au hasard, ferait monter aux lèvres la question nostalgique d’Henri Heine : « Madame ! ne sentez-vous pas l’odeur des tilleuls ? » Enfin, je goûte encore plus, pour la mélancolie qui s’en exhale, une page comme l’adieu d’Orphée à ses jeunes élèves ; et surtout, pour sa couleur plaisamment antique, le fameux air de John Styx : Quand j’étais roi de Béotie ! délicieuse et falote complainte, qui semble d’une ombre regrettant la vie et l’amour.

Voilà pour le sentiment et la poésie. Mais, à côté, ou plutôt au dedans et comme au cœur de cette poésie des sons, les paroles entretiennent une dérision éternelle. Et quand la musique, à son tour, au lieu de l’atténuer, l’avive et l’exaspère, alors elle atteint au sublime de la caricature ou de la « charge ; » elle enfante ces chefs-d’œuvre cocasses et grandioses : le finale du Sabre dans la Grande-Duchesse, celui de la Belle Hélène (Pars pour la Crète) ou le galop d’Orphée aux Enfers, cette version blasphématoire et sacrilège du Crépuscule des dieux.

L’esprit d’un Offenbach a pour élément un autre contraste encore : celui de la musique avec les sujets, ou les situations, ou les mots qui la comportent le moins, auxquels il semble même que par nature elle répugne. On rapporte qu’Auber disait d’un musicien qu’il trouvait trop sérieux et guindé : « Je l’attends quand il lui faudra faire chanter des chaises et des fauteuils. » Offenbach a fait chanter de moindres objets et de plus médiocres. Non seulement il n’a pas dédaigné, mais il a recherché de parti pris, pour les mettre en musique, les vulgaires incidens et les détails les plus familiers de la vie. « Nous dînons à sept heures ; nous nous mettons à table vers sept heures, » dit au berger Paris la fille de Jupiter et de Léda. Et, de cette hôtesse à ce