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fils, et que devait trancher la guillotine, allait bientôt s’ourdir.

La police officielle connaissait bien toutes ces cabales, mais faisait la frime de les ignorer. Depuis quelques mois, le ministre Fouché prenait des poses de mécontent, et tenait un langage de victime. Il se disait dégoûté de Bonaparte, excédé de ses incartades, fatigué de s’entendre chaque matin traiter comme un laquais : le futé renard flairait une disgrâce prochaine. Aussi, pour se rendre nécessaire, l’habile homme laissait aller les événemens, ne voulait voir, ni rien entendre, pratiquait même d’indélicates manœuvres, de bas tripotages d’aigrefin. Prudent et avisé, il ne risquait pas son blême visage dans l’hôtel de la rue d’Anjou ; mais il recevait souvent, par la porte secrète, le citoyen Fresnière, — encore un Breton ! — le secrétaire, le confident, l’âme damnée du général. Coutumier des petites perfidies, Fouché méditait quelque grosse trahison.

En revanche, les polices particulières du Premier Consul (elles étaient innombrables) se montraient moins discrètes. Elles avaient enveloppé Moreau dans les rets d’un incessant espionnage : valets, visiteurs, invités, convives même, chacun prenait à tâche de le moucharder. Les murs de son château, les portes de son hôtel, ayant ainsi des yeux et des oreilles, Moreau traitait, à présent, de ses affaires cachées dans le boudoir de sa belle-mère. Mais, là aussi, en la maison de la Petite rue Saint-Pierre, les « observateurs » pullulaient. Les plus tendres amies de Mme Hulot émargeaient aux fonds de la police consulaire, et parmi elles, la sémillante citoyenne Hamelin, l’Egérie créole, la conseillère aimée du colonel des gendarmes d’élite, ce peu scrupuleux Savary… Traqué de la sorte, l’affable et bienveillant Moreau était devenu soupçonneux et déplaisant. Sa correspondance, à cette époque, est pleine de billets où solliciteurs et quémandeurs d’audience sont brutalement éconduits. Pour parvenir jusqu’au maître, il fallait passer par l’examen du secrétaire, et, tout aussi matois qu’un limier de police, le futé Fresnière savait déshabiller une conscience.


Moreau fit néanmoins bon accueil au jeune Auguste Rapatel, et lui promit son assistance. Il appréciait beaucoup ses chers amis de Rennes,… de si honnêtes gens ! et l’aventure de la « coquine » l’avait chagriné. Lui-même en voulait maintenant à toutes les coquines, depuis ce jour où l’effrontée Ida, sa