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latéraux ; à portée des eaux du glacier, et recueillant de leur mieux, grâce au choix habile de leur exposition, les rayons précieux du soleil de midi, s’érigent des habitations humaines que séparent de vastes espaces. Lorsqu’un certain nombre d’entre elles ont poussé de compagnie sur les pentes d’un même vallon rocheux, elles composent tant bien que mal une commune alpestre. Fréquemment bâties de ces bois secs et incorruptibles fournis jadis par les antiques forêts dont chaque année voit diminuer à présent l’étendue, ces fermes n’offrent le plus souvent qu’une seule pièce principale, à la fois cuisine, dortoir des gens, étable même. C’est la « chambre à fumée, » Ranchstube, ainsi nommée parce que une ventilation insuffisante la laisse toujours plongée dans l’acre brouillard résineux qui naît du foyer domestique. En cette atmosphère, que la science moderne proclamerait sans doute aseptique, le lard se fume à merveille cependant que les poumons se bronzent, et l’on assure d’ailleurs que les jeunes filles ne sont ni moins fraîches ni moins rosées pour se diriger, de là, vers la messe du dimanche. D’autres établissemens sont plus confortables et plus importans : ils forment alors un grand rectangle de bâtimens agricoles, et annoncent l’aisance chez leurs propriétaires.

Placé à quelque distance de l’habitation principale, afin d’échapper au danger toujours menaçant du feu, et blotti sous un pin géant destiné à le protéger contre la foudre, s’élève un petit pavillon de bois dont la construction est particulièrement soignée. La partie inférieure sert de hangar pour les voitures ou les instrumens aratoires, et un étroit escalier conduit vers le réduit supérieur, que ferme une lourde porte d’érable aux puissantes garnitures de fer, à la serrure d’acier. C’est ici la chambre aux provisions, le Feldkasten, cœur de l’exploitation, source de la vie paysanne. Ses parois abritent, en effet, toutes les choses nécessaires à l’homme, et non pas seulement, comme fait le coffre-fort du citadin, leur représentation en métal jaune. On y voit le grain de la récolte dernière, et la viande soigneusement fumée dans la chambre d’habitation ; les provisions de beurre, de graisse, de saindoux ; et le lin cultivé, filé, tissé sur place, d’où sortiront la toile et le linge de la maison ; puis, c’est la bure faite de la laine du troupeau, d’où naîtront les vêtemens d’hiver ; ce sont les cuirs des animaux morts au service de la ferme, dont le cordonnier façonnera les chaussures, et aussi les chausses, car