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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/291

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mœurs[1]. Lorsqu’un des premiers héros sortis de l’imagination de Rosegger, le « Maître d’école dans la forêt, » s’efforce d’arracher à ses instincts farouches une population sauvage de bûcherons et de charbonniers qui vivent au fond des bois comme des bêtes fauves, et qu’on nomme dans la vallée paisible les « diables de la forêt ; » lorsqu’il se donne à la tâche grandiose de créer un lien entre ses misérables, de fonder parmi eux une « commune, » association de tolérance et d’assistance mutuelle, qui est la base de la civilisation, cet homme de bonne volonté sent par intuition que l’assise fondamentale d’un pareil édifice doit être le temple du Seigneur et il construit une église de bois, qui sera « la protection contre les orages du monde, le vestibule de l’éternité. »

On en juge ainsi dans les montagnes styriennes : la situation sociale du prêtre y est encore exceptionnelle, et sa suprématie incontestée ; on lui baise la main quand il s’approche. Guide et conseiller de ses ouailles en toutes circonstances, il est la gloire du village dont il sort, et l’orgueil des parens qui l’ont donné à Dieu. Le talent de Pierre Rosegger a fait connaître par le vaste monde le nom de son hameau natal : or, il raconte lui-même avec esprit[2] que ses compatriotes se sentent pourtant bien plus flattés dans leur vanité civique par la carrière d’un de ses camarades de jeunesse, qui mourut simple curé de village. L’éducation de ce brillant séminariste « avait coûté la valeur de trois paires de bœufs à son père, et plutôt davantage que moins : pourtant, quand le jour solennel de sa première messe se fut levé, ce père disait à tout venant : « Je ne voudrais pas à présent le donner pour six paires de bœufs, mon fils, Monsieur le Vicaire. — Et les vieux comme les jeunes dans Alpel avaient les yeux humides de joie à songer qu’un des leurs prononçait maintenant dans la chaire les paroles apostoliques, et siégeait en représentant de Dieu au tribunal de la pénitence, tandis qu’à l’autel, il montait comme un médiateur entre l’homme et la Divinité. Ces braves gens pensaient aussi qu’ils auraient désormais un avocat particulier près de la cour céleste, et le nouveau prêtre leur

  1. Ce massif abrupt des Alpes autrichiennes est si bien aujourd’hui l’une des citadelles du catholicisme en Europe que c’est, dit-on, vers ses pentes que se dirigent une partie des ordres français éloignés par la loi de 1901 ; à ce titre l’étude d’un tel milieu présente une véritable actualité.
  2. Allerhand Leute, Les Trois Célébrités d’Alpel.