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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/299

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coupable que par l’attitude embarrassée dont il ne put se départir. Le fils aîné de cet homme de cœur, Lorenz Rosegger, qui porta par abréviation le surnom de Lenz, à la poétique signification[1], fut le père de notre écrivain, et ce dernier lui a consacré des pages émues, qui comptent parmi les plus sincères et les plus touchantes dont sa plume nous ait donné le régal. Une de ses premières poésies, en dialecte styrien ; deux de ses romans : Haidepeter’s Gabriel et Erdsegen, enfin un souvenir nécrologique publié en 4896 fournissent d’exquises peintures du paysan d’Alpel. Il faut nous arrêter un instant à cette originale figure, car, ayant eu la fortune de trouver à ses côtés un portraitiste si particulièrement dévoué, Lorenz Rosegger nous intéresse autant comme un type accompli du Styrien de l’ancienne école que pour avoir agi profondément sur la pensée de son enfant, tout à la fois par son influence héréditaire, et par ses exemples d’éducateur.

Bien qu’il ait vécu quatre-vingt-deux ans (1814-1896) dit son fils[2], cet homme n’était pas fait pour notre monde, où il semblait marcher en exilé, perdu dans un rêve lointain. Ses parens lui avaient jadis enseigné la religion catholique plutôt par leur conduite que par leur parole inhabile ; mais ces leçons suffirent néanmoins à façonner son existence entière, qui ne fut guère autre chose qu’une oraison ininterrompue. Le premier à l’église aux Dimanches, il en sortait le dernier, ayant véritablement assisté par l’imagination au drame du Calvaire. Il jeûnait le samedi jusqu’au soir, en l’honneur de la Vierge, et récitait incessamment, à haute voix, le rosaire, sans interrompre pour cela les besognes les plus profanes, en se rasant par exemple, ou en raccommodant ses vêtemens de travail. Sa femme lui représentait bien parfois que chaque chose a son temps, et qu’il faut traiter avec plus de respect les personnes célestes, mais le respect véritable est dans le cœur autant que dans les manières, et Lorenz Rosegger n’avait rien d’un hypocrite, car ses actes étaient d’accord avec ses paroles. Jamais on ne le vit pleurer devant un chagrin terrestre : il perdit des enfans ; il vit partir sa compagne, enlevée à son affection après une longue déchéance physique. En ces heures tragiques, il s’agenouillait et priait sans une larme,

  1. Lenz est la dénomination poétique du printemps ; c’est, si l’on veut, le Renouveau.
  2. Mein Weltleben.