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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/300

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tandis que son œil se mouillait au contraire, s’il entendait parler de l’amour immense témoigné aux hommes par le Sauveur, ou encore s’il se représentait la douceur infinie de la Vierge Marie. Les pleurs perlaient même sous ses paupières aux accens de ces cantiques dont la mélodie large et simple dit les joies du Paradis et la félicité des élus. Ces choses seules le touchaient profondément parce que, sur la terre, il acceptait du même front le bonheur et la tribulation : « Tout cela est bien vite passé, disait-il, et doit seulement servir à nous apprendre la patience ; à nous acquérir, par le mérite de la résignation, une récompense éternelle. » Et la Providence parut vouloir lui offrir l’occasion d’appliquer sans relâche ces sévères maximes ; tandis que sa nombreuse famille grandissait à ses côtés, il se voyait ruiner peu à peu par le sort contraire : incendie, grêle, épidémie sur les bestiaux, nul fléau ne lui fut épargné : lambeaux par lambeaux, les terres et jusqu’à la maison paternelle, s’en allèrent à des créanciers rapaces, tandis que sa femme, usée prématurément par la misère, dépérissait lentement à ses côtés. Leur fils a retracé cette lutte grandiose contre l’adversité dans le début d’un de ses premiers romans : Haidepeter’s Gabriel, sorte d’autobiographie idéalisée, où ses parens tiennent la place d’honneur. C’est un des plus beaux poèmes de la résignation chrétienne qui aient jamais été écrits, car on ne saurait mieux rendre le courage serein déployé par ces âmes vaillantes dans la montée de leur Calvaire, dont elles ne perdent jamais de vue le terme assuré : « Quand on frappe à la porte du Paradis, Notre-Seigneur Dieu vous demande : As-tu porté ta croix et ta souffrance ? Viens, montre tes épaules. As-tu marché par les sentiers épineux ? Viens, montre-moi tes pieds. C’est bien, tu peux entrer ; je brûlerai bientôt la terre avec ses croix et ses souffrances, et nous demeurerons pour toujours ensemble dans le Paradis. » Ou encore, dans leur sens inné des beautés de la nature, ces héroïques patiens en mêlent les spectacles radieux aux espoirs surnaturels, avec une naïve poésie : « Quoiqu’il y ait bien de la misère ici-bas, le ciel est partout au-dessus de nos têtes. Le ciel est un abri sans bornes : la misère humaine peut être grande, le bon ciel la recouvre toute. » Et ces accens rappelleront sans doute aux familiers de la psychologie campagnarde le ton populaire si pénétrant de cet apôtre rustique qui fut le curé d’Ars.

La rançon d’un tel abandon aux volontés d’en haut, c’est