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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/301

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peut-être, comme l’indique discrètement lui-même le fils pieux de ces excellens chrétiens, quelque inhabileté aux choses de ce monde. Lorenz Rosegger avait, cela est certain, le travail lent autant que consciencieux, et se voyait un peu dédaigné de ses pairs pour son inaptitude au self-help. Mais il retrouvait l’estime de tous quand il s’empressait d’assister ses voisins dans l’affliction, allant s’asseoir au chevet des malades ou des blessés, afin de les consoler dans leurs peines, et de leur rappeler les compensations de l’au-delà. Son fils, — qui obéit sans doute ici à des préoccupations personnelles dont nous retrouverons la trace dans ses théories religieuses, — assure même que cette âme de choix s’éleva sans cesse à des vues plus hautes dans cette voie d’abnégation volontaire. Après avoir en effet, accompli le bien tout d’abord par crainte de la damnation éternelle, dont sa vive imagination s’effrayait outre mesure, Lorenz le fit plus tard par amour de Jésus mort pour nous sur la croix ; enfin, il s’adonna aux bonnes œuvres pour racheter les pauvres défunts du feu du Purgatoire, et amener ses frères sur le chemin du ciel ; parvenu ainsi par degrés à l’oubli parfait de tout égoïsme, et au plus large amour de l’humanité. A la fin de sa vie, il donnait tout ce qu’il possédait, ayant pour ainsi dire soif de la pauvreté, se plaisait dans un dénuement voisin de la misère, et prenait à la lettre le précepte de l’Evangile : que celui qui a deux vêtemens donne l’un à son frère qui n’en a point. Humble et embarrassé en face des heureux du monde, il avait toujours une apostrophe joviale et caressante pour les pauvres gens qu’il croisait par les chemins. Dans sa vieillesse, ses enfans l’hébergeaient tour à tour, bien qu’il séjournât plus volontiers chez l’un d’entre eux, demeuré simple cultivateur comme il l’avait été jadis lui-même ; or il ne manquait jamais, à la fin de chaque repas, de les remercier pour la nourriture du corps qu’une fois de plus ils lui avaient préparée ce jour-là ; il remerciait jusqu’aux serviteurs, chez celui de ses fils que le talent avait alors élevé dans une classe sociale supérieure. Cette exquise humilité se marqua mieux encore à l’heure d’une solennité littéraire, qui apportait à ce fils, devenu célèbre, des distinctions particulièrement flatteuses ; le vieillard demeura invisible durant le cours de la fête, retiré dans une chapelle de la montagne, et priant la Mère de Dieu qu’elle voulût bien préserver son enfant du péché d’orgueil. Et cette modestie non feinte n’avait rien de farouche d’ailleurs, car on trouvait