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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/33

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solde de tout compte, la Guyane ! C’était Fouché lui-même qui, après l’attentat de nivôse, avait inscrit le nom du camarade sur les listes de transportation… Encagé à Pélagie, le misérable « homme tigre » s’y désespérait. Il écrivait lettres sur lettres à son ingrat compère, — tantôt furibondes et tantôt éplorées, risibles et touchantes à la fois.., « Oui, je m’adresse à vous, et ne crois pouvoir mieux m’adresser qu’à vous ! Je ne puis me faire à l’idée que vous m’ayez tout à fait oublié ! Je vous implore donc comme on supplie dans le malheur… Eh quoi ! c’est vous qui me traitez ainsi, vous à qui j’étais et suis encore peut-être plus qu’attaché ! Vous le savez pourtant, ma position est une erreur ! Et vous savez mieux encore le vrai, le véritable motif de mon arrestation, et du choix, comme à la fourchette, que l’on a fait de moi !… » Pauvre naïf !… Excédé de tant de doléances, Fouché pressait l’embarquement du cher ami : encore un peu de temps, et René Vatar allait s’acheminer vers Oléron, la frégate Cybèle et les palétuveraies de la Guyane… Il y devait mourir.

Si navrante infortune avait ému le cœur de Mlle ***. Et puis, l’abominable proscription menaçait de ruiner son besogneux commerce. Jadis imprimeur à Rennes, Vatar avait de l’argent placé dans la maison que dirigeait la jeune femme : un règlement de comptes allait donc s’imposer… La parente était accourue à Paris, où le capitaine, son ami, l’avait rejointe. Mais, les papiers de Vatar-Dubignon ayant été saisis par la police, l’apurement de ses affaires était chose malaisée. Aussi, Mlle *** passait-elle des journées entières dans les bureaux du citoyen Desmarets, chef de la division secrète, homme très doux, au visage souriant, aux airs de chattemite, — une soutane jetée aux orties, — et souvent Rapatel accompagnait la bien-aimée. Les deux jeunes gens faisaient alors de longues stations dans cette redoutable officine de la rue des Saints-Pères où se croisaient et se toisaient tant d’émargeurs, espions de diverse origine : l’ancien terroriste et le ci-devant aristocrate, un Barrère, par exemple, et un duc de Montmorency-Luxembourg. Par malheur, on jasait beaucoup trop dans l’entourage de Desmarets ; ses commis racontaient au dehors leurs plus secrètes histoires ; d’aucuns même trahissaient avec impudence. On apprit bientôt à Rennes ces fréquentes visites, et soudain Rapatel reçut une verte semonce. Son général Simon, — ce franc-maçon avait d’austères délicatesses, —