Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/34

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui reprocha de compromettre l’uniforme : « Vous n’obtiendrez rien du ministre de la Police. Je connais l’homme ! Il est inutile que vous alliez davantage chez lui ! »

La jeune femme, du reste, ne frayait pas seulement avec les gens de la rue des Saints-Pères ; on la rencontrait aussi dans les « méandres de Jérusalem, » de la « petite Judée, » à la préfecture de police. Le préfet Dubois, ennemi personnel de Fouché, avait naguère voulu protéger Vatar, et témoignait quelque intérêt à sa cousine. Dans les bureaux de la Cour Neuve, Mlle *** put ainsi entrevoir certains visages qu’elle devait, un jour, mieux connaître : le secrétaire général, Piis, un joyeux vaudevilliste, chansonnier du Caveau, et surtout ce redoutable et redouté Bertrand, l’homme aux poucettes.

Mais, démarches et audiences, tout cela n’était qu’un prétexte ; de plus lancinans soucis retenaient loin de Rennes Mlle *** :… la malheureuse allait devenir mère. Le séducteur, comme il advient toujours, se montrait ennuyé. L’idylle tournait trop vite à la comédie bourgeoise, des scènes attristaient le nid amoureux, et la douce amie se faisait acariâtre. Non seulement elle réclamait un mariage immédiat, mais encore exigeait l’impossible… Non, elle n’irait pas courir les garnisons : aujourd’hui, à Turin, demain à Berg-op-Zoom ! Son époux donnerait sa démission, il troquerait le panache contre le composteur :… la maison Rapatel !… » Rêves d’avenir sans doute, idéal d’un bonheur provincial, — mais le jeune officier pestait et rechignait : ce capitaine de vingt-sept ans prétendait garder sa dragonne. A la fin, toutefois, et sa passion l’endoctrinant, il céda. L’amoureux chasseur écrivit donc une lettre assez piteuse à l’aîné de ses frères, lui découvrant le pot au rose. La réponse ne se fit pas attendre. Ironique et grincheuse, elle peut se résumer en quelques mots : « Maladroit, épouse au plus vite, puisqu’il le faut ; mais ne donne pas ta démission : tu n’es pas fait pour le négoce… » Telles étaient les angoissantes tristesses de Mlle ***, au moment où, le 8 prairial, le bel Auguste arrivait enfin à son rendez-vous. Une heure avait sonné depuis longtemps, et la névrosée devait attendre avec impatience.


Maintenant, dans l’étroit logis du quai de la Liberté, en la solitude sommeillante de l’Ile Saint-Louis et le silence de mort qui enveloppe ses hôtels, les amans échangeaient leurs