qu’habitait le citoyen Louis-Nicolas Dubois, successeur à présent des Argenson et des Sartine.
Mlle *** eût désiré s’entretenir avec Dubois, car s’adresser au ministre Fouché effrayait cette âme en détresse. Le préfet s’était montré pour elle fort accueillant, et l’ombrageuse Félicie espérait trouver chez cet homme douceur et protection. Mais, ce jour-là, Dubois était absent. Nommé tout récemment conseiller d’Etat, il siégeait, en ce moment, aux Tuileries : ferveur de néophyte. Ce fut donc pour la malheureuse une première déception. L’huissier de service, — un tyranneau, déjà, — la voulut, sans doute, éconduire : « Le préfet ne recevait qu’une fois par semaine, le lundi, de midi à deux heures. Encore faudrait-il à la citoyenne une lettre d’audience. » Mais la citoyenne insistait, s’énervant et s’indignant ; de guerre lasse, on la conduisit dans le cabinet du chef de division Bertrand.
Depuis deux ans et quatre mois, le citoyen Bertrand exerçait à la préfecture d’arbitraires et formidables fonctions. L’Almanach national, ce Livre d’or de nos puissances administratives, nous a très amplement édifié sur les grandeurs du personnage et l’importance de son emploi :
PREMIERE DIVISION : G. Bertrand, chef. — Les affaires urgentes ; les affaires secrètes ; les émigrés ; les attroupemens, les réunions tumultueuses menaçant la tranquillité publique, les coalitions d’ouvriers,… la ratification des engagement, les marchandises prohibées par les lois,… les faux en écriture authentique,… les mandats d’amener, la chambre d’arrêt, et le dépôt près de la préfecture… » bref, le pouvoir discrétionnaire d’un potentat de la police.
Cet homme considérable — quinze lignes d’attributions dans l’Almanach ! — était un fonctionnaire intelligent, laborieux et intègre : un excellent sous-ordre… Dans le public, toutefois, il avait mauvais renom. Trop de conscience !… on lui reprochait d’employer souvent la torture. Et, de fait, cet ingénieux Bertrand possédait d’infaillibles secrets pour desceller des lèvres longtemps closes. Un misérable, quelque chouan par exemple, avait-il la malechance de comparaître devant lui, tout d’abord, l’habile homme faisait son bon apôtre, parlait d’honneur, et même offrait de l’argent. Mais, si l’inculpé s’obstinait en un fâcheux silence, aussitôt la comédie prenait lin. On apportait