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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/407

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reviennent en force, imposent la ville d’une très forte somme, et emmènent comme otages le maire et un conseiller municipal.

Le maire, M. Constant, avait une soixantaine d’années. C’était un ancien notaire ou avoué, un peu prudhomme, mais honnête, droit, et plein de bons sentimens. Le conseiller municipal, M. Cocault, était un négociant de trente-cinq ans environ. Il était très communicatif, racontait avec volubilité les dangers qu’il avait courus dans la glorieuse nuit où devant lui les Prussiens avaient été surpris à Nemours. Ils étaient l’un et l’autre sans bagages, sans linge, presque sans argent, n’ayant que ce qu’ils avaient sur eux au moment de leur arrestation. Ils avaient passé quinze jours en route pour atteindre l’Allemagne et ils étaient depuis trois semaines dans notre prison, supportant avec une résignation, qui ne manquait pas de grandeur, leurs privations, leurs fatigues et bien des vexations, — tout fiers même de souffrir pour leur ville et pour la patrie.

Notre chambre était mal tenue comme le reste de la prison. Elle avait pour tout mobilier une table, deux ou trois chaises, et trois matelas jetés sur le plancher. Le mien avait dû servir dans une ambulance ; car il avait en son milieu une large tache de sang déjà jaunie par le temps.

Le geôlier nous apportait une nourriture qui sentait le graillon. Une demi-heure par jour, nous nous promenions, M. Cocault et moi, dans le préau étroit et sombre de la prison. Le vieux maire avait un gros rhume et ne sortait pas du tout.


II

Le surlendemain de mon arrivée dans la prison de Mayence, le geôlier nous prévient de nous préparer à partir pour la forteresse de Glogau en Silésie. En effet, une demi-heure après, on nous fait sortir et on nous amène dans une autre partie de la citadelle devant un lieutenant d’infanterie prussien, grand, blond, froid, correct, sanglé dans sa tenue. On prend nos signalemens, ainsi que ceux de deux autres prisonniers civils qui doivent faire route avec nous.

L’un, M. Triquet[1], était un fonctionnaire des contributions, d’un département avoisinant Paris. Au moment de l’investissement

  1. L’exactitude de l’orthographe de ces deux noms n’a pas pu être vérifiée.