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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/432

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Écritures en bloc, telles qu’on les lui présente et sans les discuter, comme une sorte de diapason moral et comme le premier moyen qui lui soit donné d’entrer en communication avec la pensée divine sur tous les sujets. Il ne s’inquiète ni de préciser ni de systématiser le dogme ; il s’en inquiète si peu que, lorsqu’il a supprimé le Prayer book qui contient la doctrine officielle, les formules et les rites de l’anglicanisme, il ne met rien à la place et laisse les églises maîtresses d’enseigner ce qu’elles veulent. Les questions qui l’intéressent sont des questions d’organisation et de discipline. Faut-il détruire absolument l’épiscopat ? Quelle part faire aux laïques dans le gouvernement de l’Église ? Il incline à laisser les âmes libres de disposer d’elles-mêmes dans le tête-à-tête avec Dieu. On ne peut lui retirer le mérite d’avoir été, pendant de longues années, le champion militant de la liberté de conscience. Sans doute, ce rôle lui était imposé par les besoins mêmes du parti qu’il représentait. On l’appelait « le grand indépendant, » et les indépendans, dans cette querelle entre calvinistes purs et arminiens, entre prélatistes et presbytériens, ne demandent, d’abord, que le droit d’exister. Mais il faut reconnaître que la liberté de conscience n’est pas simplement, pour les indépendans, une thèse de circonstance, mais qu’elle constitue le fond même de leur doctrine, l’article principal de leur Credo et, en quelque sorte, leur raison d’être. S’il est permis de définir les idées du XVIe et du XVIIe siècle par des mots du XIXe et du XXe que ni Calvin ni Cromwell n’eussent compris, je dirai que la doctrine des indépendans, ou plutôt leur état moral, c’est le déterminisme religieux, fourni par Genève, qui se greffe sur l’individualisme anglo-saxon. « Suis-je un des élus ? Ai-je la grâce ? » Voilà la grande, l’unique question. Elle donne lieu, dans l’âme du puritain, à des anxiétés terribles, à des luttes effroyables, entrecoupées de longs abattemens et de langueurs mortelles. Mais dès qu’il se croit en communion directe avec Dieu, il ne doute plus de lui-même et il cesse de tenir compte des opinions adverses… Ceux qui ne pensent pas comme lui sont comparables aux Madianites et aux Amalécites de l’ancienne loi : ils sont voués par Dieu à la destruction de toute éternité. « Il a plu au Seigneur de donner la victoire à son pauvre ver : » tel est l’étrange style des rapports officiels d’Olivier. Croire que Dieu agit en nous seuls et par nous seuls, est-ce le comble de l’humilité ou le comble de l’orgueil ? Je pose la question aux casuistes. Je ne puis