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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/434

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une société d’après cet idéal ? Dans quelle mesure a-t-il réussi ? Dans quelle mesure a-t-il échoué ? Le succès, ou l’échec, lui est-il imputable ? Ou bien s’est-il heurté à des circonstances plus fortes que lui ? Et qu’est-il resté finalement, de cet effort pour organiser le gouvernement de Dieu sur la terre ? C’est là-dessus qu’il faut juger Cromwell. Ses contradictions, ses incohérences, son manque de franchise, tout cela disparaît ; ses crimes eux-mêmes deviennent choses secondaires s’il a créé quelque chose ou seulement légué à l’avenir l’embryon d’une idée aujourd’hui vivante.


III

La première expérience d’Olivier, en ce genre, consiste à organiser une compagnie de cavalerie. À ce moment, Gustave-Adolphe venait de montrer l’importance de la cavalerie et le temps était encore loin où l’on devait proclamer l’infanterie la « reine des batailles. » On nous fait un lamentable tableau du fantassin anglais de la guerre civile. A travers fossés et marécages, trempé jusqu’aux os, crotté jusqu’aux épaules, il marche lentement. Sous son bagage énorme il a moins l’air d’un soldat qui va se battre que d’un pauvre paysan en train de déménager. Ni pour la portée, ni pour le maniement et la rapidité, son triste mousquet ne vaut l’arc de Crécy et d’Azincourt. Quand il a lâché les deux balles qu’il mâchonne dans un coin de sa bouche, il n’a plus d’autre défense que la crosse de son arme. S’il est tourné, il est pris par grandes masses, comme dans un filet, à moins qu’il ne trouve plus beau de se faire hacher sur place : ce qui est rare, car il sait à peine pourquoi il se bat. Il fallait donc, à tout prix, — Cromwell fut un des premiers à le comprendre et à le dire, — donner une cavalerie à l’armée parlementaire. Mais de quels élémens la composer ? Et comment opposer aux gentilshommes du prince Rupert des garçons de ferme montés sur des chevaux de labour ? Encore s’il ne s’était agi que de leur apprendre à galoper en file ou en rang, à manier le sabre et le pistolet ? Mais la difficulté n’était pas là, comme Cromwell l’expliquait dans une lettre mémorable à Hampden. L’honneur, la fidélité au roi est le ressort des cavaliers du prince Rupert. Il faut trouver un sentiment qui s’oppose à