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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/442

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qu’on pourrait appeler la laïcisation définitive de la politique anglaise.

Il est, dans l’histoire, des défaites honorables ; il en est de glorieuses. Si Cromwell avait succombé en cherchant à établir son système, ce système, vaincu avec mi, serait sa raison d’être et sa justification. Mais il en a hâté, consommé, proclamé l’avortement et, par là, il se confond avec les autres grands empiriques de l’histoire.

Grand ? L’a-t-il été, réellement ? Et en quoi consiste cette grandeur ? Sûrement il n’était pas un maître de la parole. Sa pensée, qui se débat toujours contre la pauvreté ou l’obscurité de l’expression, donne l’idée d’un homme qui marche enveloppé dans un sac et lance des coups de poing dans le vide. Il n’était pas, non plus, un financier. Jamais, — cela est admis de tous, — il n’a rien entendu aux chiffres. On nous dit qu’il avait des talens militaires. Sur ce point, je ne puis en croire Carlyle ni M. John Morley. Napoléon, après avoir lu Hume, ne se trouvait pas assez renseigné pour porter un jugement sur la tactique et la stratégie de Cromwell. Le colonel Hönig, qui a fait une étude spéciale de la question, est, si je ne me trompe, la meilleure autorité en la matière. Outre le courage personnel qui ne saurait être douteux, l’historien militaire allemand reconnaît de rares mérites chez le vainqueur de Preston et de Dunbar. Il ne faut pas oublier, cependant, que la valeur d’un chef d’armée se mesure à celle de ses adversaires, de ses alliés et des moyens dont il dispose. Rien de plus primitif que ces batailles de la guerre civile où la disposition est invariablement la même : l’infanterie au centre, la cavalerie aux ailes. Aucune unité dans le commandement. Trois ou quatre actions différentes s’engagent et se poursuivent sans rien savoir les unes des autres. Lorsque Cromwell, à Marston Moor, après avoir culbuté la cavalerie de Rupert, se rabat sur Goring, puis sur Newcastle, il tombe comme la foudre sur des troupes qui se croient victorieuses. Comment a-t-il pu faire ainsi le tour entier du champ de bataille, et exécuter cette brillante manœuvre qu’il renouvela, l’année suivante, à Naseby, s’il n’avait été admirablement aidé par les Écossais auxquels son pieux rapport rend une si avare justice ? Aurait-il pu, à Preston, attaquer et détruire, en petits paquets, l’armée royale, pendant trois jours consécutifs, si l’ineptie des chefs et les divisions de cette armée hétérogène n’avaient empêché