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avait été faite avant l’arbitrage, elle a été maintenue après, de sorte qu’un avantage appréciable restait en tout état de cause aux ouvriers. Mais ce n’est pas celui qu’ils avaient demandé, et qu’ils avaient mis leur amour-propre à obtenir. Ils ont considéré la sentence arbitrale comme une défaite, c’est-à-dire comme une iniquité. Pendant quarante-huit heures, on a senti peser sur la situation le calme qui précède la tempête : puis celle-ci a éclaté.

Et cependant les patrons, le gouvernement et les arbitres eux-mêmes avaient usé des formes les plus propres à flatter les grévistes dans quelques-uns de leurs sentimens les plus vifs. Nous avons suivi depuis quelque temps avec intérêt le mouvement syndical qui s’est manifesté par la création des syndicats jaunes. Les syndicats jaunes, issus de la même loi que les syndicats rouges, avaient exactement les mêmes droits qu’eux, et ils pouvaient rendre service en limitant et en modérant leur toute-puissance dans le monde du travail. Peut-être les jaunes ne se sont-ils pas toujours montrés aussi habiles qu’il aurait été désirable ; mais la question n’est pas là. Ils avaient, eux aussi, un apprentissage à faire, et on aurait dû les y aider. Les rouges sont dispensés d’habileté, puisqu’ils ont la violence. Au cours des conférences qui ont précédé l’arbitrage et de l’arbitrage lui-même, les jaunes ont demandé à être entendus. Leur désir était parfaitement légitime : pourquoi a-t-on refusé d’y accéder, sinon parce que M. Basly y a mis impérieusement son veto, en déclarant que, si les jaunes jouaient un rôle quelconque dans l’affaire, tout était rompu ? Le président des syndicats jaunes, M. Lanoir, s’est présenté au ministère de l’Intérieur et a demandé à être reçu : l’huissier de service lui a déclaré qu’il avait ordre de lui fermer toutes les portes, en ajoutant toutefois qu’il pourrait repasser dans quatre ou cinq jours, quand tout serait terminé. M. Lanoir n’a pas été plus heureux auprès des arbitres. C’est une triste odyssée que la sienne ! Les syndicats jaunes auront de la peine à se relever du coup qu’ils viennent de recevoir. Ils ont été sacrifiés aux intérêts du présent ; on n’a peut-être pas assez songé à ceux de l’avenir.

Mais, au moins, a-t-on sauvé les intérêts du présent ? A-t-on donné aux syndicats rouges du Pas-de-Calais et du Nord, qui étaient, en somme, d’assez bonne composition, une force sur laquelle on pût s’appuyer pour mettre fin à la grève ? Cela est douteux. La grève a été le produit d’une sorte d’éclosion spontanée : elle a éclaté sans que les syndicats, ni même que le Comité national des mineurs la voulussent. Comité national et syndicats ont été entraînés pêle-mêle