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dans le mouvement, et ils ont couru à sa tête avec l’arrière-pensée de le diriger, de l’endiguer et de le modérer. Peut-être cette intention n’a-t-elle pas été aussi nette de la part du Comité national que des syndicats : à dire vrai, nous n’en savons rien, car le Comité national a si complètement disparu dans la tourmente qu’il serait téméraire de lui attribuer une intention quelconque. Après avoir constaté la grève plutôt qu’il ne l’a proclamée, il a solennellement affirmé qu’elle ne devrait prendre fin que sur son ordre formel, — après quoi, personne ne s’est préoccupé de lui. M. Basly, directeur tout-puissant des syndicats de la région du Nord, n’en a fait qu’à sa tête. La vérité est que, dans les momens de crise, on ne va qu’aux forces réelles et consistantes : par malheur, les forcer qui paraissent consistantes un jour cessent de l’être le lendemain.

Il semble bien que ce soit un peu ce qui est arrivé aux syndicats rouges eux-mêmes. S’ils se sont crus maîtres du mouvement, à leur tour ils se sont trompés, et ce qui nous inquiète le plus dans la situation actuelle, c’est qu’on ne distingue plus nulle part une autorité quelconque qui soit respectée. Un Congrès s’est réuni le 8 novembre à Lens pour discuter ce qu’il convenait de faire après les sentences arbitrales. La question n’aurait même pas dû être posée, les délégués des ouvriers ayant reconnu d’avance que les sentences seraient souveraines. Le Congrès n’en a pas moins décidé que la grève continuerait jusqu’à nouvel ordre. Il a nommé de nouveaux délégués pour s’aboucher avec ceux des patrons, et préparer un nouvel arbitrage. La manière dont le premier a échoué doit dégoûter d’en essayer un second : c’est un instrument brisé, sinon pour toujours au moins pour quelque temps. Le Comité de la grève de Carmaux l’a senti. Probablement inspiré par M. Jaurès, il a envoyé une adresse aux camarades du Pas-de-Calais pour les supplier de s’incliner devant la sentence arbitrale qu’ils avaient provoquée. « Si vous refusez, dit-il, d’accepter cette sentence, après avoir promis solennellement de vous y conformer, vous portez au principe de l’arbitrage un coup funeste. » Rien de plus vrai ; mais, de quelque côté qu’on se tourne aujourd’hui, on ne voit que des coups funestes portés avec une égale inconscience, tantôt à une institution tutélaire, tantôt à une autre ; et ce n’est pas le gouvernement dont nous jouissons qui remettra un peu d’ordre là où il a si puissamment contribué lui-même à porter le désordre.

Quant à la Chambre des députés, elle continue de pourvoir au danger avec la même inconscience. Elle a décidé de nommer une commission de trente-trois membres pour faire une enquête sur les