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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/488

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l’enfant de feu Clary, gros marchand d’huiles, à Marseille. Déjà, Joseph Buonaparte avait épousé une autre fille du Marseillais, la maigriotte et couperosée Julie ; aussi, activait-il ces fructueuses amourettes. La citoyenne Clary s’était montrée coquette, aimable, encourageante ; on avait échangé des lettres, des portraits, des sermens. Mais, un jour, la bien-aimée était partie pour Gênes. Adieu, alors, la tendre correspondance et ces niaiseries charmantes que roucoulait toute femme sensible : pas même un envoi de nouvelles !… « Ah çà ! pour arriver à Gênes on traverse donc le fleuve Léthé ? » et, quelques mois plus tard Napoléon avait épousé Joséphine… Certes, la volage petite personne n’avait guère pleuré sur son roman perdu, mais aujourd’hui citoyenne Bernadotte, elle se dépilait d’avoir si bien manqué la fortune. Peut-être sa vanité de femme reprochait-elle au soupirant éconduit de s’être consolé trop vite ; peut-être encore sa jalousie d’épouse souffrait-elle de voir l’époux de son choix si inférieur à l’amant dédaigné. Sa blessure était d’autant plus cuisante que Bonaparte ne semblait pas se souvenir ; il accueillait en protecteur son infidèle ; même, parrain d’Oscar, un fils de Désirée, il l’avait affublé d’un prénom ossianesque : tous les pardons de l’indifférence… Et, froissée dans son amour-propre, mais possédant le cœur de son mari, cette femme poussait aux aventures un ambitieux que torturait l’envie.

La dislocation de l’Armée de l’Ouest avait âprement chagriné Bernadotte. Revenu à Paris dès les premiers jours de frimaire, il se montrait mécontent du Consul, assez peu satisfait de soi-même. Et de fait, ce glorieux s’était acquis bien peu de gloire durant une campagne de vingt-deux mois. Pas la moindre escarmouche, aucun autre Quiberon ; mais d’incessantes et fastidieuses battues, simples opérations de gendarmerie ! Il regrettait son commandement ; ses treize demi-brigades de fantassins, de cavaliers et d’artilleurs ; son quartier général de Rennes ; sa maison militaire nombreuse et bien empanachée, ses dragons-gardes cavalcadant autour de lui, pareils à des mamelucks consulaires, ses quatre-vingts adjudans-généraux, officiers d’ordonnance, aides de camp, — tout l’attirail, toute la puissance, toutes les griseries de sa dictature… Eh quoi, « l’oreille fondue, » — lui le héros de Neumarck, de Palma-Nuova, de Caporetto ! ! On aurait dû le choisir pour commander l’expédition de Saint-Domingue ! Mais non ; toujours et toujours les passe-droits, les flatteurs, la