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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 12.djvu/489

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camarilla de la Malmaison !… Et pour donner le change à la malignité publique, le vaniteux souffre-douleurs se disait malade, harassé de fatigue, condamné par les médecins à un impérieux repos… Ah ! s’il pouvait s’en aller à Plombières respirer l’air de la montagne !… Un anémié, un asthénique, un moribond !

Ce moribond, toutefois, avait bonne mine, tenait des assemblées, donnait des fêtes et des raouts. Dans sa maison de la rue Cisalpine, — un champêtre ermitage, habillé de lierre et de fleurettes montantes, bâti à l’orée de Mousseaux, au bout d’un long jardin où se dressait un labyrinthe (les Grecs et la Nature ! ) — il recevait force visites. Des généraux, de nombreux officiers venaient montrer leurs uniformes dans les salons d’un camarade, et le malin Fouché dînait souvent chez cet autre malin. Une croissante affection unissait maintenant les deux hommes. Mécontens l’un et l’autre, ils s’étaient rapidement compris, et déjà leur amitié tournait au compérage… Du reste, dans la Chaumière de la rue Cisalpine, rien de suspect, en apparence. Chacun y admirait les vertus du Grand Consul, exaltait son génie, respectait son pouvoir : c’était, du moins, ce qu’affirmait Fouché.

Pourtant, les familiers de Bonaparte, un Savary ou un Davout, lui racontaient tout autre chose… Le gendarme et le grenadier tenaient chacun leur bureau d’espionnage et facilement accueillaient la délation. Assistés par Dossonville, ils prétendaient connaître bien des mystères. La verdoyante et fleurie chartreuse était, à les en croire, une officine sans cesse en travail, où s’élaboraient des intrigues politiques, où se préparaient de criminels complots. Bernadotte y prodiguait conseils et encouragemens aux tribuns cabaleurs, derniers champions du jacobinisme ; aux opposans du Sénat, libéraux férus d’idéologie : on venait chez le général recevoir le mot d’ordre. Il excitait ces têtes brouillonnes, calomniait le Consul, lui attribuait des projets liberticides, et, poussant à la résistance, promettait l’appui de son épée. « Conspiration flagrante !… » Mais d’autres racontages se débitaient aussi à la Malmaison. Davout et sa police y avaient fabriqué du roman : acharnés contre Bernadotte, ils cherchaient à le compromettre dans l’ail aire Donnadieu… « Conspiration à mort ! » disaient-ils. Des conjurés se sont réunis plusieurs fois dans le logis du général Delmas : Bernadotte assistait à ces conciliabules. Assemblées, d’ailleurs, tumultueuses, et discussions-confuses ! Comment devait-on se défaire du