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d’Ille-et-Villaine, cette opération, pensait Mounier, devait produire d’importans résultats. L’ordre d’arrestation transmis par Fouché lui était parvenu ; il n’ignorait plus que Bertrand était l’expéditeur des libelles ; même, une délation récente lui avait signalé cet homme comme un agent de Bernadotte…

L’accusation était formelle : Maffran, le mouchard amateur, avait enfin forcé la porte du délicat préfet. Triomphant des répugnances de l’ex-Constituant, le jeune Routhier lui avait amené l’indicateur, un des flambeaux de sa police. Ce Maffran savait tant de choses, et il dénonçait tant de monde !… « A surveiller Pinoteau, Müller, et la 82e demi-brigade ; Godard et sa 79e ; le colonel Lami et la 30e légère ; mais surtout à coffrer au plus vite le vaguemestre Bertrand, séide et mameluck de Bernadotte ! Intermédiaire d’une correspondance occulte, ce tripotier d’intrigues possédait bien des secrets : un examen de ses papiers pouvait élucider l’Affaire… Au surplus, ajoutait le Maffran, tous ces gens-là étaient des francs-maçons ! On s’agitait dans les loges du Grand Architecte ; compagnons, maîtres, vénérables, chevaliers-kadoches, — tous les porteurs du bijou s’exaspéraient contre le Concordat : il pleuvait sur le Temple !… » Bernadotte et les francs-maçons ! Effaré, le préfet aussitôt avait dépêché à Paris son secrétaire général… « Une grande réserve, monsieur, vis-à-vis du ministre Fouché ; un entier abandon avec le ministre Chaptal ! »… Et, dans cet après-midi du 13 juin, nerveux, impatient, palpitant d’espoir, l’excellent homme attendait les résultats de la perquisition…

Le gendarme Caron, cependant, avait pénétré dans la maison de la rue de l’Horloge ; mais, dès le seuil, il n’alla pas plus loin. Un voisin obligeant venait d’intervenir : « Personne là-haut, marchi ! L’officier est absent. Il dîne… » Fort bien ! On l’attendrait, et, l’arme au pied, les brigades attendirent. Une demi-heure plus tard, le sous-lieutenant rentrait, et remontait placidement son escalier. Les gendarmes le suivirent ; pas assez vite, toutefois, car ils s’aheurtèrent à la porte refermée :

— Ouvrez, au nom de la loi !

Pas de réponse : une rébellion !… Et soudain, l’honnête Caron éprouva un scrupule de conscience. Avait-il le droit, — lui simple galonné, — de forcer le logis d’un officier ?… Il courut prendre l’avis d’un « supérieur. » A son tour, le supérieur se montra perplexe ; le lieutenant Dénouai avait bien reçu la